LES CROISADES D'ESPAGNE
LES GUERRES CAROLINGIENNES
Charlemagne et l’Espagne musulmane
En 756, l’Emir Abd-Al-Rahman Ier fait de Cordoue la capitale d’un Emirat indépendant de Damas. L’Andalousie deviendra pendant cette occupation arabe le centre d’une brillante civilisation. Sous son administration, Cordoue s’enorgueillira de richesses artistiques incomparables avec les autres capitales européennes. Grenade, Saragosse, Séville et Tolède conservent aujourd’hui encore les vestiges de cette période rayonnante de l’Islam. Abd-Al-Rahman fera construire dans le centre de la ville, la grande mosquée surplombant le Guadalquivir. Sous le règne du Calife Hârun-Al-Rashid de 766 à 809, l’Espagne arabe illuminera de ses feux l’Occident alors que règne la barbarie sur ses territoires. Ce souverain légendaire des milles et une nuits fera de Cordoue l’un des centres culturels les plus vivants du Haut Moyen Age. Son école de philosophie aura grande renommée et les artistes du monde arabe s’expatrieront pour venir à la cour du Calife où raisonneront les mélodies du grand chanteur Ziryad. Le commerce est fleurissant, la monnaie stable, les ennemis au loin sont occupés à assurer la stabilité de leur autorité sur leur royaume sans cesse menacé.
Voici comment se présente l’Espagne musulmane lorsque Charlemagne devient Roi des Francs en Gaule.
La conquête de l’Espagne : guerre chrétienne ou croisades
Durant sept ans, la Saxe vivra dans la terreur.
Charles va organiser en 785 une nouvelle campagne en Espagne qui s’échelonnera sur huit années. Il confiera le commandement de ses armées au Comte Guillaume de Gellone. Ce sera un demi-échec. De plus en 792 un scandale secoue la religion chrétienne. L’évêque espagnol d’Urgel, Félix, affirme dans son église de Seu d’Urgel en Catalogne que le Christ n’est pas le fils de Dieu, mais son fils adoptif. Charles réunit un concile à Ratisbonne et convoque Félix qui envoie à Rome l’évêque hérétique. Hadrien Ier le condamne à abjurer son hérésie dans la basilique Saint Pierre.
De 794 à 796, il est à nouveau en Saxe où il ravage le pays. Le Pape Léon III succède à Hadrien qui vient de mourir. Charles envoie de nouveaux contingents en Espagne sous l’autorité de ses fils Louis et Pépin. Cette campagne durera de 796 à 800.
Charles, pendant ce temps, dicte au Pape nouvellement élu sa vision du monde carolingien.
« Que notre prudence s’attache en tous points aux prescriptions et suive constamment les règles établies par les Saints Pères, afin que votre vie donne en tout l’exemple de sainteté, que de votre bouche ne sorte que de pieuses exhortations et que votre lumière brille devant les hommes ».
Le message est clair, au Pape la prière, à lui le pouvoir absolu. La puissance de Charles ne cesse de croître, et lorsque éclate le 25 avril 799 l’insurrection contre le Pape Léon III, Charles s’impose comme le maître du royaume chrétien. Le Pape accusé de parjure et d’inceste trouve en Charles son meilleur soutien. Ce 25 avril, jour de la fête de Saint Marc, est un jour funeste pour le Pape. Il est assailli devant l’église Saint Etienne et Sylvestre par des conjurés qui le jettent à bas de son cheval et le rouent de coups. On prétend même que le Pape est
Guerres de Conquête
La guerre est une lutte armée entre états qui commencent par un ultimatum après que les ambassades de paix ont échoué. La fin des hostilités est marquée par des trêves, des armistices ou des traités de paix mettant fin temporairement ou définitivement à la lutte armée.
Campagnes militaires
C’est un ensemble d’opérations militaires menées sur théâtre déterminé. Cela exige des déplacements fréquents et pénibles.
Expéditions punitives
Ce sont des expéditions militaires qui se déroulent en dehors des territoires nationaux. Elles sont exécutées rapidement, violemment avec la volonté d’en finir le plus vite possible.
Les campagnes militaires de Charles en Espagne appartiennent-elles à une suite de guerre de conquête ou à des croisades ? Le vent épique qui souffle dans la chanson de Roland est-il celui qui motiva les croisés d’Orient ou celui antérieur des croisades d’Espagne ?
Quand est-il pertinent de dire Croisades, Guerres hispaniques, Campagnes guerrières ou Expéditions militaires ? Nous allons tenter de démêler cet imbroglio politique et religieux dans lequel s’empêtrent ou s’affrontent un grand nombre d’auteurs sur le sujet. En premier, il est déjà bon de connaître la définition des termes à employer. Pour notre étude, nous utiliserons les termes de Guerres de Conquêtes, Campagnes militaires, Expéditions punitives et Croisades.

Croisades
Ce nom fut donné aux expéditions chrétiennes en Orient pour chasser les Musulmans de Terre Sainte au Moyen Age. C’est le Pape Urbain II qui prêcha la croisade. Derrière ces grandes entreprises se cachent la volonté papale ou celle d’une autorité religieuse importante.
A partir de ces définitions, nous allons réaliser un classement dans lequel nous regrouperons les différentes opérations militaires nous intéressants.
La conquête de l’Espagne par Charlemagne : Guerres hispaniques ou Croisades.
Au début de sa conquête, Charles agit pour lui-même. Seule la soif de pouvoir et l’idée de se tailler un empire anime sa politique expansionniste. Il lui faut affermir son autorité dans son royaume.
Il doit mater l’Aquitaine rebelle et les souverains des petits royaumes limitrophes. De 768 à 778, il ne cessera pas de guerroyer au nom de la religion chrétienne. Il se dira « le dévoué défenseur de la Sainte Eglise et son auxiliaire en toute chose ». Il suivait en cela la politique de son père à l’égard de Rome. Il s’agissait pour eux de protéger seulement le siège épiscopal des Lombards. Le 5 juin 774, Charles coiffe la couronne et devient Roi des Francs et des Lombards. Son entrée dans Pavie sera triomphale. Il porte la célèbre couronne constituée d’un cercle d’or incrusté de pierres précieuses dont le fermoir affermi la légende a été forgé avec un clou de la Vrai Croix.
Mais Charles n’est pas encore le bras armé, le défenseur de la religion, l’élu désigné par Dieu pour faire entendre sa parole. Ses relations avec le Saint Siège ne sont pas très harmonieuses si l’on en croit les reproches que lui adresse le Pape Hadrien Ier en 775.
Charles, pendant le siège de Pavie, se rend à Rome célébrer les fêtes de Pâques où Hadrien Ier le reçoit somptueusement. Charles gravira les marches de la basilique Saint Pierre en baisant chacune d’elles, puis parvenue devant la porte il embrassera le souverain pontife et lui prendra la main, puis devant le tombeau de Saint Pierre ils prononceront un serment commun. Mais Charles oubliera, semble-t-il, sa promesse faite au sujet des territoires qu’il devait remettre à Rome. Sa Sainteté lui adressera une supplique sans succès en 775. Il s’adressera aux Comtes et Juges laissés en Lombardie qui ignorent les dispositions de leur souverain. Malgré l’envoi de messagers auprès de Charles et le rappel de son serment « de faire tout ce qu’il a promis dans le temple des bienheureux Apôtres », le Roi des Francs reste sourd à ces injonctions. Charles entend bien garder pour lui seul ces nouveaux territoires et durant son bref retour en Lombardie au début de l’été 776, il n’ira pas visiter le Pape. Il retourne en Saxe rapidement où il mate une nouvelle révolte puis après leur avoir fait jurer fidélité à lui-même et à la religion chrétienne, il s’en retourne. Mais selon Eginhard ses conversions sont obtenues avec des intentions biens peu sincères de la part des Saxons. Mais Charles s’est acquitté de son devoir de souverain chrétien. Ces conversions sont une simple formalité et il laisse aux hommes de religion le soin de s’en charger.
Peu après, Charles entreprend la conquête de l’Espagne musulmane, où il subira la défaite de Roncevaux. Il doit s’en retourner précipitamment au nord de son royaume où les Saxons se sont révoltés une nouvelle fois. Après une énième campagne il s’en retourne à Pavie pour y passer Noël. Le Pape Hadrien Ier réclame sa présence, mais Charles n’est nullement disposé à tenir la promesse contenue dans le traité de 774. Il ne tient pas plus parole que les Saxons à son égard et le Pape le lui fait savoir vertement.
« A quelle humiliation, lui écrit-il à ce propos, en est réduite, contre toute attente, ta sainte mère spirituelle l’Eglise romaine ! Quelle déchéance, quel déshonneur pour nous, quand aujourd’hui, de ton vivant, nous voyons des misérables, des impies, qui ne sont pas moins tes adversaires que les nôtres, s’efforcer de nous arracher des biens dont, du temps des Lombards, nous disposions en maître ! Et voici que nos ennemis se mettent à nous accabler de paroles de ce genre : A quoi vous a servi la ruine de la nation lombarde et sa soumission au roi franc ? Voyez : non seulement aucune des promesses qu’on vous avait faites n’est tenue, mais les biens concédés à saint Pierre par le roi Pépin de sainte mémoire vous sont maintenant enlevés ! »
Charles n’est guère en odeur de Sainteté. C’est alors qu’il décide de se rendre à Rome pour Pâques en 781. L’objet de sa visite est le baptême de ses fils, Pépin et Louis, mais son mobile est politique. Il a besoin de l’appui du Pape pour soumettre le Duc de Bavière, Tassilon. Puis de 782 à 785, la Saxe va être son souci majeur et lorsque la guerre s’arrêtera, il promulguera un terrible capitulaire. « A l’avenir, tout Saxon qui refusera ou tentera d’échapper au baptême sera mis à mort ».

Durant sept ans, la Saxe vivra dans la terreur.
Charles va organiser en 785 une nouvelle campagne en Espagne qui s’échelonnera sur huit années. Il confiera le commandement de ses armées au Comte Guillaume de Gellone. Ce sera un demi-échec. De plus en 792 un scandale secoue la religion chrétienne. L’évêque espagnol d’Urgel, Félix, affirme dans son église de Seu d’Urgel en Catalogne que le Christ n’est pas le fils de Dieu, mais son fils adoptif. Charles réunit un concile à Ratisbonne et convoque Félix qui envoie à Rome l’évêque hérétique. Hadrien Ier le condamne à abjurer son hérésie dans la basilique Saint Pierre.
De 794 à 796, il est à nouveau en Saxe où il ravage le pays. Le Pape Léon III succède à Hadrien qui vient de mourir. Charles envoie de nouveaux contingents en Espagne sous l’autorité de ses fils Louis et Pépin. Cette campagne durera de 796 à 800.
Charles, pendant ce temps, dicte au Pape nouvellement élu sa vision du monde carolingien.
« Que notre prudence s’attache en tous points aux prescriptions et suive constamment les règles établies par les Saints Pères, afin que votre vie donne en tout l’exemple de sainteté, que de votre bouche ne sorte que de pieuses exhortations et que votre lumière brille devant les hommes ».
Le message est clair, au Pape la prière, à lui le pouvoir absolu. La puissance de Charles ne cesse de croître, et lorsque éclate le 25 avril 799 l’insurrection contre le Pape Léon III, Charles s’impose comme le maître du royaume chrétien. Le Pape accusé de parjure et d’inceste trouve en Charles son meilleur soutien. Ce 25 avril, jour de la fête de Saint Marc, est un jour funeste pour le Pape. Il est assailli devant l’église Saint Etienne et Sylvestre par des conjurés qui le jettent à bas de son cheval et le rouent de coups. On prétend même que le Pape est martyrisé. On lui aurait crevé les yeux et arraché la langue et, par une guérison miraculeuse, il aurait retrouvé l’usage de la vue et de la parole. Jeté dans une cellule du monastère de Saint Erasme. Martyr, il serait parvenu à se réfugier auprès du Duc Spoléte venu à Rome en compagnie d’une armée.
Charles agit comme chef suprême de l’empire chrétien. Il ordonne que le Pape soit accompagné à Rome et replacé sur son trône et que soient jugés ses calomniateurs puis il se rend à Rome pour Noël de l’an 800, où le Pape Léon III le reçoit avec les plus grands honneurs et lui confère le titre d’empereur. Théodulphe, évêque d’Orléans, écrira un dithyrambe en son honneur et dans lequel il priera toutes les nations à reconnaître Charles comme leur souverain universel, élu de Dieu.
Dithyrambe en l’honneur de Charlemagne
« Que le monde entier, ô roi, retentisse de tes louanges. Quoi que l’on puisse dire de ta gloire, on n’en dira jamais assez. Tu rappelles par ta sagesse Salomon, par ta force David, par ta beauté Joseph. Tu protèges les richesses de tes sujets, tu châties les crimes, tu distribue les honneurs : c’est pourquoi tous ces biens te sont accordés. Réjouis-toi en recevant les trésors immenses que Dieu t’envoie des terres de Pannonie. Rends-lui de pieuses actions de grâces, et que ta main, comme elle le fait toujours, s’ouvre largement pour lui. Voici venir la nation des Huns, aux cheveux tressés, prête à servir le Christ. Que l’Arabe suive leur exemple. Hâte-toi, Cordoue, d’envoyer notre roi, digne de tout honneur, les trésors amassés depuis de longs siècles. Arabes et Nomades, venaient aux pieds du roi ; comme les Avars, fléchissez devant lui vos genoux et vos cœurs. Les Avars étaient aussi cruels, aussi féroce que vous. Celui qui les a domptés saura vous dompter à votre tour ! »
Théodulfe, évêque d’Orléans
Mais ses ennemis ne l’entendent pas ainsi, et de 801 à 803 les armées franques guerroient en Espagne avec à leur tête Guillaume de Gellone devenue Duc d’Aquitaine.
Mais Charles, devenue empereur, mène la guerre pour son compte. A aucun moment ses campagnes militaires vers l’Espagne ne s’apparentent à des croisades. Lorsque le Pape Léon III s’adresse à lui, il le désigne ainsi, à « Charles-Auguste, vainqueur et triomphateur » et terminera par ce souhait « Que la grâce du Très-Haut conserve le très pieux Empire du Seigneur et fasse plier devant lui le coup de toutes les nations ». Charles est bien l’unique souverain du royaume chrétien.
Les dernières expéditions qu’il entreprendra en direction de l’Espagne de 806 à 808, puis de 809 à 814 ne seront jamais dues à la volonté apostolique.
En conclusion nous pouvons dire que les campagnes militaires carolingiennes menées au-delà des Pyrénées ne sont pas des croisades, malgré l’idée qui semble émaner du texte de la chanson de Roland. Les guerres de conquête entreprises par Charlemagne en Espagne ne sont au regard de l’histoire que des Guerres Hispaniques. Charles ne fut pas un croisé, ce sont les moines et troubadours des XIe et XIIe siècles qui purent le laisser penser lorsque fut chantée, lue, relue, écrite et recopiée un grand nombre de fois la chanson de geste.
Nous placerons dans cette catégorie la campagne militaire que Louis le Pieux entreprendra entre 820 et 824 et qui deviendra le second Roncevaux ainsi que l’expédition de son fils Pépin réalisée entre 826 et 828.
La fin de la mission chrétienne des Rois de France en Espagne où s’exposeront des Seigneurs des hauts rangs ne sera plus qu’une campagne militaire de modeste envergure vouée à l’échec. Lorsque les Normands sillonneront les côtés atlantiques, apparaîtra une nouvelle forme de guerre. Ces violations meurtrières des territoires français et espagnols se transformeront en véritables expéditions punitives, tout comme l’expédition militaire de Roger de Toeni en 1018.
Vers le milieu du XIe siècle jusqu’à la moitié du XIVe, viendront ce que nous pouvons véritablement appeler les Croisades d’Espagne. Ces campagnes émaneront d’une volonté papale ou d’une autorité religieuse importante. Elles seront menées par des Souverains, de Grands Seigneurs ou des Comtes puissants. Nous avons dénombré pas moins de huit croisades. Quatre partiront en Espagne au XIe siècle, trois autres appuieront les armées chrétiennes espagnoles au XIIe siècle et la dernière sera organisée par le Comte d’Angoulême devenu Roi de Navarre.
Toutes ces dernières expéditions peuvent prétendre être des croisades au même titre que les croisades en Terre Sainte dont elles sont contemporaines. Elles possèdent le même objectif : délivrer un lieu saint de la chrétienté, le tombeau du Christ et celui de l’Apôtre Jacques. L’esprit de la croisade animait ces armées chrétiennes unies sous la bannière du Christ.
Prologue : Roncevaux, histoire d’une vengeance
Le dénouement tragique du défilé de Roncevaux trouve son origine dans notre région. A la mort de Clovis, l’Angoumois échut à son fils Childebert qui appartenait à ses domaines d’Aquitaine. La querelle des Reines Frédégonde, Reine de Neustrie, et Brunehaut, Reine d’Austrasie, profita à l’Aquitaine qui choisit de devenir un royaume indépendant. Dagobert le donnera à son frère Caribert qui le conservera trois années seulement. En 635, les Aquitains se soulèveront et seront aidés dans leur lutte par les Wascons, peuple belliqueux des Pyrénées. La révolte sera durement réprimée. Lorsque Dagobert disparaît à son tour, l’Aquitaine retrouve son indépendance avec à sa tête le Comte Lupus qui se proclame Duc de Wasconie à Toulouse. Son fils Eudes lui succédera et étendra sa domination jusqu’aux rives de la Loire alors que les royaumes de Neustrie et d’Austrasie sont gouvernés par les Maires du Palais.
Lorsque les invasions arabes débutent, Eudes ne peut les arrêter à Toulouse puis à Bordeaux. Il se résigne à demander l’aide de Charles Martel et ils se battront en 732 à Moussais-La-Bataille près de Poitiers. Charles Martel obtiendra fidélité et soumission du Duc d’Aquitaine après cette victoire.
A la mort de Eudes, Hunald ou Hunaud renouvelle, forcé, le serment de son père à Charles Martel. Lorsque ce dernier s’éteint le 22 octobre 741, Hunald se révolte. Le royaume est partagé entre Carloman qui reçoit l’Austrasie, l’Alémanie et la Thuringe.
Pépin devient Roi d’un royaume comptant la Neustrie, la Bourgogne et la Province. Grifon, fils bâtard de Pépin, reçoit le reste. Mal conseillé par sa mère, il souhaite s’approprier les royaumes de ses frères mais échoue. Battu Laon, il est emprisonné à Neufchâteau près des Ardennes. A Vieux Poitiers, Carloman et Pépin se partage la Gaule.
Hunaud profite des campagnes militaires entreprises par les deux souverains en Alémanie et en Saxe pour franchir la Loire en 744. La mise à sac de Chartres provoque un retour rapide de Pépin et de Carloman. C’est alors que commence pour l’Aquitaine une lutte terrible pour la survie de son indépendance. En 745, Hunald ou Hunaud, incapable de résister donne celle-ci à Waifre, son fils, et se retire dans un monastère de l’Ile de Ré. Les circonstances de cette retraite sont assez floues, voire romanesques. Elles sont le fruit de renseignements provenant des Annales de Metz extraites de la chronique de Réginon datant de la fin du IXe siècle. Selon Dom Vaissette dans son « Histoires générales du Languedoc », ces faits proviendraient d’une source austrasienne de pur foi. Selon d’autres sources, Hunald, Hunold ou Hunaud serait mort dans les rangs de l’armée lombarde au siège de Rome en 756. La retraite d’Hunald, son inhumation auprès de son père et de sa mère Valtrude dans un monastère de l’Ile de Ré, fondé par Eudes avant sa mort, sous l’invocation de la Vierge sont peu vraisemblables. De même, rien ne prouve que cette fondation et les sépultures de ses parents existèrent sur l’Ile de Ré.
Waifre était assez brave et intelligent pour se battre contre Pépin. Il possède un territoire s’étendant de la Loire aux Pyrénées. En 760 il occupe la Septimanie jusqu’à Arles. La réaction de Pépin Le Bref est immédiate, il envahit le Berry. En réponse Waifre prend en 761 la Bourgogne. Cette guerre continuelle durera jusqu’en 768. En 762 Pépin frappe un grand coup. Il s’empare de Poitiers, Limoges, Périgueux et Angoulême. Le Limousin sera rasé par Pépin. Après ces événements régnera une accalmie. Waifre ne voulant pas s’avouer vaincu se réfugie en Dordogne où il tente de résister. Par un vaste mouvement tournant, la stratégie militaire de Pépin Le Bref isole le Duc d’Aquitaine. Les Missi de Pépin administrent la Province et établissent le pouvoir royal sur les territoires conquis et soumis. En février 768, Waifre est abandonné de ses amis et est entouré de traîtres. Pépin débusque le Duc aquitain et l’anéantit. Il aurait été assassiné par l’un des siens dans un bois du Périgord à la limite de l’Angoumois.
La mort de son fils fait soustraire de son monastère de l’Ile de Ré, le vieil Hunald, où Pépin l’avait, selon d’autres sources, fait enfermer. En 769 Charles, qui n’a que vingt six ans et n’est pas encore le grand empereur, part sans tarder pour Angoulême afin de mâter la révolte des Aquitains. Sans attendre toutes ses forces, ils se lancent à la poursuite d’Hunald qu’il manque faire prisonnier. Hunald, Hunold ou Hunaud se réfugie chez le Duc des Gascons, Lupus, le Duc Loup. Charlemagne détruit toutes les places fortes sur son chemin. Epouvantés, le Duc de Gascogne, Lupus, livre Hunald et sa femme au fils de Pépin. De plus Charles obtient la soumission du Gascon. L’Aquitaine sera divisée en provinces gouvernées par des Ducs et des Comtes. Quelques années plus tard, quand Charlemagne entamera sa première croisade d’Espagne, il séjournera avec son armée à Angoulême. Lorsque le 15 août 778 son arrière garde s’engage dans le Col de Roncevaux, les acteurs et le scénario d’une vengeance se mettent en place. Une coalition militaire composée de Vascons ou Basques, de Gascons et d’Arabes surveille les défilés et attend l’instant propice. Réfugiés dans les montagnes, les vaincus de l’ancienne nation aquitanique indépendante le guettent et vont lui infliger une terrible défaite. Parmi les chefs de celle-ci se trouve le fils de Waifre qui écrasera son arrière garde dans les défilés de Roncevaux. L’embuscade sera commandée par Loup II qui portait le titre de Duc d’Aquitaine et de Vasconie.
La fin du Premier Royaume d’Aquitaine sonne le glas de la vie du Comte Roland à Roncevaux. Ceci aurait pu s’appeler « Chronique d’une mort annoncée ».

LES GUERRES HISPANIQUES CAROLINGIENNES
LA PREMIERE GUERRE HISPANIQUE - RONCEVAUX
Roncevaux : Histoire d’une défaite.
Dans tout son royaume, Charles va inaugurer une politique de conquêtes passant par la conversion forcée au Christianisme des populations païennes soumises. Massacres et exils ponctueront ces méthodes peu civiles et ses pratiques se perpétueront durant tout le Moyen Age.
Pendant presque trente ans il va parcourir son royaume et repousser sans cesse les frontières de celui-ci. Parfois cette conquête sera une simple démonstration de force militaire. Ces campagnes d’assimilation des peuples vaincus, lui permettront d’en faire les protectorats. Parfois les populations soumises de force se révolteront et des expéditions punitives dures les réduiront sans merci. Il s’ensuivra une déportation massive des peuplades et d’individus, qui sera la solution finale à sa politique de conquête. Campagnes de pacification riment avec Christianisation forcée. Ses capitulaires ou édits royaux instaurent un véritable régime de terreur dans ses provinces païennes en cours de conversion.
Ce n’est qu’en 778 que Charlemagne s’occupe de la question musulmane. Cette même année il va créer un royaume d’Aquitaine dans lequel il incorpore la Marche d’Espagne. Il donne celui-ci à son fils Louis, né en 777 à Chasseneuil du Poitou, à l’âge d’un an. Il sera sacré Roi d’Aquitaine en 781 alors qu’il n’a que quatre ans. Ce royaume durera un siècle environ et passera successivement à Pépin Ier, Pépin II puis au fils de Charles Le Chauve, Charles L’Enfant et Louis Le Bègue avant de disparaître au profit de la couronne de France. Ce royaume est créé à des fins politiques. Il est un point stratégique de l’échiquier militaire carolingien au sud du royaume de Charles.
Lorsque commencent les mouvements de rébellion entre les factions arabes en 777, Charles se trouve à Paderborn en Wesphalie. Il reçoit une ambassade dirigée par Sulaymãn Ibn Al-Arabi, gouverneur de Barcelone et de Saragosse, qui lui fait miroiter les perspectives de richesse en Espagne. Ce dernier en révolte contre son maître l’Emir de Cordoue, Abd-Al-Rahman, sait le convaincre au « Champ de Mars » ou Diète de Paderborn en 777 et Charles décide d’engager ses forces armées dans la lutte contre les « mauvais » infidèles. Ce n’est qu’en 778, l’année suivante, que Charles se prépare, depuis Casseneuil en Agenais où il vient de célébrer les fêtes de Pâques, à la Première Croisade Carolingienne d’Espagne.
A la tête de deux armées, il se dirige vers les Pyrénées. Au passage, il harcèle les Basques, guerriers chrétiens mais déloyaux qui traitent avec l’Arabe. Il franchit les hauts sommets enneigés et fonce sur la cité de Pampelune qui cède sous les assauts de ses troupes. Il passe l’Ebre à gué puis marche sur la ville de Saragosse, mais le soulèvement des Musulmans promis par le Gouverneur arabe, Ibn Al Arabi à Paderborn, n’a pas lieu. Les fidèles du Calife de Cordoue, Abd Al-Rahman, tiennent la forteresse et font échouer la coalition arabo-carolingienne. Au contraire, la situation se retourne contre cette dernière. Un lieutenant de Ibn Al Arabi, Al Husayn, indigné des méthodes carolingiennes, rejoint les rangs du Calife derrière les remparts de Saragosse. Ce changement d’attitude est dû au mépris affiché par les Francs qui se considèrent en terrain conquis et traitent avec mépris les Musulmans. Ce fâcheux imprévu bouleverse les plans de Charlemagne, et il est maintenu en échec devant Saragosse. Il se heurte à une formidable défense de la cité et doit renoncer à occuper la ville. Il doit lever le siège de toute urgence car des messagers en provenance du nord de son royaume lui rapporte des nouvelles alarmantes. Les Saxons, qui ont profité de son éloignement, se soulèvent à nouveau. Il abandonne le siège et bat en retraite pour rejoindre le nord. Courroucé de ce contretemps, il rase au retour les murailles de Pampelune pour mettre celle-ci dans l’impuissance de se révolter lorsqu’il reviendra, pense-t-il ?
Le 15 août 778, lors de la traversée des Pyrénées, alors que les longues files de son arrière-garde alourdies par les bagages et le cortège de prisonniers félons, s’engagent dans le défilé de Roncevaux, les Basques ou Vascons, aidés des Musulmans et des Gascons, dévalent les pentes raides des monts pyrénéens et massacrent sans pitié ses troupes. L’armée franque, commandée par le Sénéchal Egilhard, le Comte du Palais Anselme et le Duc de la Marche de Bretagne Hruoldland (Roland le Preux), est surprise et ne peut rien faire, tant l’emprise et la tactique militaire de la guérilla sont menées de main de maître. De cette terrible défaite infligée à Charlemagne, les bardes et troubadours en feront une chanson de légende.
Roland, Vassal du Grand Roi des Francs, deviendra le neveu de l’empereur et les poètes du Moyen Age chanteront le courage et la noblesse du preux chevalier dans la Geste de la Chanson de Roland. Eginhard, auteur présumé des Annales officielles du règne de Charlemagne, précise qu’à cette occasion : « Ce revers ne put être vengé sur-le-champ parce que les ennemis, le coup fait, se dispersèrent si bien que nul ne put savoir en quel coin du monde il eût fallu les chercher ». Il poursuit plus loin en disant : « Ce cruel revers effaça presque entièrement dans le cœur du Roi la joie des succès qu’il avait eu en Espagne ».
L’expédition de la Première Croisade d’Espagne contre les Musulmans est un échec total et s’achève dans un terrible désastre. Charles va après ce camouflet militaire renoncer à conquérir l’Espagne musulmane pendant quelques années.
L’événement historique vu par les chroniqueurs et historiens d’Espagne
Les textes
Les sources littéraires les plus anciennes relatant ces faits sont latines et arabes.
La forme la plus archaïque est contenue dans les « Annales Mettenses » (Metz, 805) remaniée en 903 et complétée par la « Chronique de L’Abbé Réginon ». La forme la plus récente est citée dans les « Annales Royales » (801) revue en 829. Les témoignages les plus brefs sont relatés dans les « Annales Laureshamenses » (823, de Laureshein ou Lorsch en Franconie) et dans les récits français contenus dans les « Annales Moissiacenses » (Moissac, 818), corrigées par les « Annales Anianenses » (D’Aniane, Hérault) appelées aussi « Annales Rivipullenses » (de Ripoll) près de Gérone en Espagne.
Les historiens arabes relatant ces événements dans trois textes : « L’Akhbar Madjuna » du XIe siècle, « L’Ibn Al-Athir »du XIIIe siècle, puis dans « Ibn Khaldun » du XIVe siècle. Mais les historiens occidentaux éprouvent une certaine réticence à travailler conjointement sur les textes arabes et latins. Certains auteurs français afficheront une totale indifférence face à l’historiographie arabe ou un mépris flagrant envers la bibliographie musulmane et fausseront ainsi la chronologie et l’authenticité de l’histoire de la défaite du camp chrétien à Roncevaux. Pourtant pour avoir une opinion aussi proche de la vérité soit-il, il est indispensable de connaître ces textes. Sans cela, comment des auteurs à l’esprit aussi étroits peuvent-ils parler de la vérité des faits historiques qui nous intéressent. La vérité sur la défaite de Roncevaux et la Chanson de Roland sont beaucoup plus complexes qu’il ne la paraît.
Abd Al Rahman et la révolte des Gouverneurs
Abd Al Rahman traverse depuis l’année 774 une période délicate où son autorité est chancelante. Le Gouverneur de Barcelone et de Gérone, Sulayman Ibn Al-Arabi s’allie à Al-Husayn Ben Yahya et entrent en rébellion ouverte contre le maître de l’Espagne arabe. Ce dernier envoie une expédition punitive contre ses vassaux qui capturent l’imprudent Général Thalaba Ben Ubayd dont l’aventure tourne court. S’attendant à de terribles représailles les deux belligérants songent à obtenir l’aide d’un puissant seigneur, et Charlemagne leur paraît être celui-là. Ibn Al-Arabi se rend à la Diète de Paderborn en 777 et lui fait les promesses de lui livrer Abd Al Rahman, Thalaba et la ville de Saragosse.

Entre temps la situation empirait pour l’Emir de Cordoue. Une armée arbaresque avait débarqué sur les côtés de Todmir (Murcie). La dynastie Omeyyades a été renversée à Bagdad et son nouveau Prince souhaitait affermir son autorité en Espagne en destituant son maître. La guerre entre Bagdad et Cordoue dura deux ans, de 778 à 780.
Entre temps Charles se prépare à envahir l’Espagne au nord. A Casseneuil en Agenais il forme son armée constituée de Francs de Neustrie, des contingents d’Aquitaine et des troupes de La Marche de Bretagne. Une autre armée s’ébranle depuis la Septimanie et traverse les Pyrénées Orientales en direction de Barcelone. Elle est composée d’Austrasiens, de Bourguignons de Bavarois, de Lombards et de chevalin natif de Provence et de Septimanie. Les deux armées pénètrent en Espagne par les côtés atlantique et méditerranéenne.
Les desseins de Charles
Les Saxons récemment baptisés à la Diète de Paderborn offraient à Charles une excellente conjoncture pour sa campagne espagnole. Il détenait en captivité, le Général d’Abd Al-Rahman, Thalaba, qui lui avait remis Ibn Al-Arabi et l’Emir de Cordoue était fort occupé à lutter contre les armées abbassides de Bagdad. Il se préparait donc à utiliser cet allié inespéré pour descendre jusqu’à Cordoue et anéantir ce voisin gênant et donner un royaume chrétien, un nouvel état soumis à son autorité. La religion servait ses mobiles politiques. Il savait compter sur son appui bien que son ambition seule le poussa à réduire cette nouvelle terre sous sa couronne. Néanmoins il bénéficiait de ce soutien inébranlable qui accréditait ses actions militaires, comme le confirment les « Annales de Metz » ; « Charles vint en Espagne à la demande des chrétiens opprimés sous le joug cruel des Sarrasins ». Un autre témoignage celui de « L’Astronome Limousin », auteur d’une vie de Louis le Pieux vers 840, certifie ces déclarations.
Charles, fort de ces encouragements, entama contre les Musulmans d’Espagne la Première Croisade de l’histoire chrétienne qui, bien que politique, n’en fut pas moins une comme le laisse deviner l’épître que le Pape Hadrien adressa à Charles :
« Afin que l’Ange du Seigneur Tout-Puissant marche au devant du Roi et le fasse rentrer victorieux dans son royaume ainsi sue l’armée seine et sauve des Francs aimés de Dieu : Francorum exercitus Deo dilectus ».
LA CROISADE DE CHARLEMAGNE DANS LE NORD DE L’ESPAGNE
Investi d’une mission quasi-divine par le Pape lui-même, Charles franchit les Pyrénées fin avril 778 et arrive à Pampelune. L’Histoire de France nous dit que Pampelune céda sous les assauts des armées carolingiennes. Or les Annales Laurissenses et les Annales brèves contredisent cette version. Les Annales mieux informées sur le déroulement de cette campagne précisent que Charles fut accueilli en personne par Ibn Al-Arabi à Pampelune, sans qu’il y ait eu d’affrontements. Les habitants de la ville le reçurent avec beaucoup de joie car ils étaient pressés de toute part par la furie des Maures. Ce dernier remit à Charles des otages selon les accords de la Diète de Paderborn. Parmi ceux-ci se trouvaient le fils et le frère de l’Emir de Huesca. Cette procédure terminée, Charles et ses alliés partent pour Saragosse où les clés de la cité doivent lui être remises. C’est ici que doit avoir lieu sa jonction avec l’armée de l’est en provenance de Septimanie.
Croyant être accueilli en libérateur, il se voit refuser l’accès à celle-ci suite à la trahison d’Al-Husayn, l’un des conjurés, qui s’est enfermé dans la ville et l’a fortifiée.
La coalition franco-sarrasine est menacée dans ses fondements. Ibn Al-Arabi ne peut tenir ses promesses. Charles reçoit d’autres otages mais malgré cela sa situation est malaisée. Saragosse résiste. Peut-il avoir confiance dans les alliés qui lui restent et qui combattent leurs frères. Peut-il se permettre un long siège alors qu’il doit faire face à des problèmes d’approvisionnement ? De plus, il est isolé en pays ennemi avec une population qui lui est hostile. Alors qu’il se pose toutes ses questions et que l’issue ne lui paraît guère favorable, les Saxons se révoltent.
L’histoire de France qui a puisé ses sources dans les Annales Latines ment à nouveau quand elle narre que Charles rentra en France après une campagne victorieuse contre les Basques et prit des otages aux Sarrasins. Toutes ces péripéties sont fausses nous dit l’historien espagnol Ramon Menéndez Pidal et il cite la « Chronique de Moissac jusqu’en 818 » qui nous apprend que « durant le séjour du Roi dans la région de Saragosse, les perfides Saxons, infidèles à leurs promesses, ravagèrent tout le pays sur la rive droite du Rhin ».
Voilà les informations qui, si elles ne réjouissent pas Charlemagne, lui permettent de s’en retourner en son royaume sans perdre la face. Les Annales Royales disent que Charles reçut cette nouvelle près d’Auxerre dans l’Yonne. Ceci, nous dit-il, est incorrect. Les dépêches qu’il reçut au nord de la Loire, étaient vraisemblablement encore plus alarmantes. Pour quitter précipitamment l’Espagne, il dut être avisé sur les lieux mêmes de la campagne. En cela, la « Chronique de Moissac » est la seule source d’informations française fiable.
Les soupçons de trahison de Charles au sujet d’Ibn Al-Arabi sont confirmés par l’historien arabe Ibn Al-Athir. Charles le fit saisir, ce qu’attestent les Annales brèves, et l’entraîne avec les autres otages musulmans, vers la France alors qu’il regagne son royaume.
Les causes de la défaite de Roncevaux
Charles ne revint pas par la route la plus directe qui passait par Huesca et Canfranc. Il choisit la route basque, pour détruire Pampelune redevenue arabe et soumettre Basques, Espagnols et Navarrais. Charles rasa la cité mais scella, par cet acte, les termes du pacte d’assistance militaire entre Basques et Musulmans qui signa le désastre de Roncevaux.
Géographie de la vallée de Roncevaux
Roncevaux est un plateau situé à environ 950 m au-dessus du niveau de la mer, mesurant six kilomètres dans sa longueur pour quatre de largeur. A l’ouest s’élève le mont Guirizu (1280 m), le mont Donsimón (1172 m), lui, fait face à l’est. La plaine est ombragée de hêtres, de rouvres et frênes et les prairies sont abondamment baignées de ruisseaux.
Un chemin serpente entre ses montagnes et traverse le col d’Ibañeta (1062 m) puis se dirige vers Lepoeder (1434 m) en sinuant sur la pente sud de l’Altobiscar (1506 m). Durant deux kilomètres et demie, il faut encore monter pour atteindre le point culminant (1493 m) et entamer la descente à flanc de coteau par le versant nord. Cette chaussée dans sa partie sud, atteint une largeur de cinq à six à mètres à certains endroits du parcours. A d’autres, elle mesure seulement trois mètres cinquante. Elle fut élargie probablement en 1813 pour permettre à l’artillerie du Maréchal Soult de franchir les Pyrénées. On la nomme communément « La Route Napoléon ». C’est sur une portion de ce chemin que l’arrière-garde de Charlemagne fut défaite, dans un lieu moins favorable au franchissement des cols. Ramon Menéndez Pidal pense que Charles a pu emprunter celle-ci sur environ trois kilomètres car c’était la route la plus courte. L’embuscade a pu être réalisée à un endroit où la chaussée romaine passe à travers les cimes, dont les flancs de coteaux sont fortement boisés et permettaient à une armée de s’y cacher. Cette position offrait à l’ennemi un avantage inestimable ; voir sans être vu. L’attaque se déroula donc vraisemblablement aux pieds de l’Altobiscar.
L’embuscade de Roncevaux
Souvenons-nous que Charles ramène en France des otages dont Ibn Al-Arabi. Cette embuscade est le fruit d’une coalition Basques et Arabes. Chrétien et Musulman attendent leur heure. Les Basques ont des comptes à régler avec Charles. Ils se souviennent de la lutte qui opposa les Ducs de Wasconie à Charlemagne dans sa jeunesse, et des représailles qui suivirent. Cette arrière-garde était composée de nobles chevaliers et des otages de hauts rangs. Les fils d’Ibn Al-Arabie voulaient libérer leur père et ses amis. Il est vraisemblable que la politique de guérilla fut appliquée. L’arrière-garde n’eut pas à faire face à une embuscade mais à un harcèlement continu destiné à affaiblir les forces chrétiennes jusqu’au lieu prévu pour l’attaque finale. Pour cela fallait une force militaire connaissant bien la région. Les Arabes avaient besoin de la compétence des Basques, qui eux-mêmes moins nombreux recherchaient la force et l’organisation militaire. L’arrière-garde franque constituée principalement de cavaliers était gênée dans les étroits défilés. Etroitesse, lenteur des mouvements, chaleur intense, armement et contingent guerrier inadapté pour ce genre de lutte exterminèrent progressivement les forces chrétiennes. Les otages furent libérés et Roncevaux fut le théâtre du massacre que l’on connaît. Basques, Navarrais de Pampelune, Sarrasins de Saragosse trouvèrent dans les défilés de Roncevaux leur vengeance. Il faudra attendre longtemps avant que cet affront ne soit vengé par les armées chrétiennes.
La Légende dorée de Roland de Roncevaux
L’un des hauts dignitaires de la Cour de Charlemagne tombé à Roncevaux se nommait Eggihard ou Aggihard. Il était responsable de la table royale. Il fut ramené en France et probablement enseveli en l’église Saint Vincent de Dax, comme le suppose Ramon Menéndez Pidal, qui rapporte l’épitaphe en vers qui a été conservée :
« Il est mort dans sa belle jeunesse,
Alors qu’un tendre duvet couvrait ses joues pourprées ;
Eggihard occupait un très haut rang à la cour royale ;
L’insatiable mort l’a frappé de son glaive,
Au temps où Charles foulait le sol de l’Espagne ;
L’italien pleure sur lui ; Le Franc est dans la consternation,
L’Aquitaine et la Germanie sont en deuil.
Sa dépouille mortelle gît dans ce tombeau ;
Quant à lui, il vit dans la cour de Dieu ».
Le noble Eggihard était un personnage très en vue. Charles le portait en très haute estime. La cour toute entière le pleura. Que représentait le titre de Préfet des Marches de Bretagne comparé à cette charge royale. Pouvait-il être ce Roland de la Chanson, ou bien encore le Preux Roland se distingua-t-il vraiment le 15 août 778 ? N’a-t-on pas utilisé les exploits du second en utilisant la position du premier à la cour de Charlemagne. Le corps du noble Hruodland fut-il ramené à Saint Romain de Blennie comme le dit la Chanson, ou son corps fut-il abandonné aux vautours et aux corbeaux à Roncevaux ?
Pour notre part nous pensons qu’il fut transporté jusqu’à Saint Romain, ne pouvant supporter le voyage jusque dans ses terres. Le témoignage de François Ier en 1526 nous paraît crédible. Il vit les ossements du guerrier. Après lui, que devint-il, nul ne le sait. L’histoire a perdu sa trace, la légende le glorifia pour l’éternité.
LA SECONDE GUERRE HISPANIQUE CAROLINGIENNE (785-793), DITE « PREMIERE MISSION DU DUC D’AQUITAINE : GUILLAUME DE GELLONE »
Depuis l’échec de la Première Croisade, Charles n’a pu laver l’affront que lui a infligé l’Espagne musulmane et ses alliés. Malgré sa réorganisation de l’Aquitaine, il offre aux conquérants arabes un flanc découvert dans sa stratégie militaire. Ses défenses permettent sans doute d’éviter une contre offensive d’Abd Al-Rahman, mais il souhaite se prémunir contre toute opération ennemie d’envergure.
C’est dans ce but qu’il va organiser la Campagne de la Deuxième Croisade, en observant toutefois une grande prudence. Il va limiter ses opérations militaires en Catalogne. Il va réaliser une progression lente et méthodique en direction du fleuve l’Ebre, dans le but évident de créer une « Marche » constituant une tête de part militaire vers le royaume musulman. La Prise de Géronne en 785 lui permet de réaliser ses espoirs et, durant huit années, il maintiendra l’ennemi hors de la Gaule.
Charles a besoin d’un homme énergique pour seconder et protéger le royaume de Louis, Roi d’Aquitaine. Il va trouver cet homme dans son entourage et cette décision sera de la plus haute importance pour bouter hors de Septimanie les Sarrasins. En 788 il ordonne au Comte de Toulouse, Guillaume de Gellone, de réduire les Gascons à l’obéissance et de chasser les Arabes. Guillaume Le Grand remplit sa mission avec succès et devient un héros des chansons de geste. Elles relateront dans un cycle épique les nombreux combats où il se couvrit de gloire. Il devient le « Cens Guillaumes » ou Guillaume d’Orange ou bien Guillaume au Corb nez (ou nez courbe) et pour terminer Guillaume Fierebrace.
Guillaume n’est pas un étranger pour Charlemagne. Il est issu d’une riche famille franque de souche noble mérovingienne. Son père était Thierry d’Autun et sa mère, Aude, était une fille de Charles Martel, ce qui en fait un cousin de Charles. Ces talents militaires ajoutés à ses liens de parenté royale font de lui l’homme dont Charles a besoin. Après la prise de Géronne en 785, Charlemagne veut faire progresser ses armées le long de la côte méditerranéenne en direction de Barcelone, mais il échouera.
Entre temps, l’Emir de Huesca, Abu Thanvr, une vieille connaissance de Charles, envoie des ambassadeurs à Toulouse en 790 pour solliciter une alliance avec Louis, Roi d’Aquitaine et fils du Grand Roi. Abu Thanvr prend sans doute peur. Ancien otage de Charles, il se trouvait parmi l’arrière-garde qui fut anéantie à Roncevaux. Il connaît le nouvel intérêt de Charles pour l’Espagne et a probablement peur des représailles. Il semble que cette ambassade ne comble pas ses espérances. L’Emir de Saragosse ne paraît pas tenir le même langage. Les Arabes qui ont subi de graves revers en Septimanie réagissent. L’offensive musulmane sera rapide et efficace. Sentant le danger que représente cette tactique militaire, les Arabes ripostent et en 793 il montent une opération guerrière éclair et de grande envergure destinée à freiner l’avancée franque. L’armée carolingienne est débordée. Sur leur lancée, les cavaliers arabes franchissent les Pyrénées et remontent jusqu’en Rouergue. Leur nouveau souverain, Hischam ou Hescham à proclamer la Guerre Sainte. Cette guerre est voulu par l’Espagne musulmane et le théâtre des opérations devient le sol français. Au cours de leur passage en Septimanie, ils ravagent et incendie les faubourgs de Narbonne. Cette expédition meurtrière sera conduite par un chef du nom d’Abd El-Melek.
Cette campagne montre à Charlemagne combien il est impératif de fermer le passage oriental des Pyrénées. Elle fut si dramatique que les populations vécurent dans la frayeur. Les troubadours relatèrent dans les chansons de geste la déroute des Francs devant l’ennemi arabe, et chantèrent l’infortune du Comte Guillaume qui ne découragera pas.
Guillaume, Comte de Toulouse, Le Pieux Guillaume de Gellone, reforme ses armées et part à la rencontre des Sarrasins. Les ennemis s’affrontent sur l’Orbieu entre Narbonne et Carcassonne. Il n’y aura ni vainqueurs, ni vaincus, mais pour Charles c’est néanmoins un nouvel échec. Les coursiers de l’Islam s’en retournent chez eux au-delà des Pyrénées. Charles reste perplexe et prend conscience que sa présence militaire en Catalogne est bien fragile et de peu d’efficacité. Au cours des années 794 et 795, il va favoriser les échanges diplomatiques avec le Roi wisigoth de Galice et les chefs arabes renégats qui conspirent contre leur maître. Côté militaire, il renforce ses places fortes de la région de Géronne, Cardona, Vich et Casseres, mais là encore le réalisme lui interdit toute opération d’envergure.
La Seconde Croisade est un demi-succès selon le camp qui parle. Charles reperdra quelques temps plus tard ses positions catalanes. Sans l’intervention de Guillaume, cette Seconde Croisade carolingienne aurait été un véritable désastre.
En récompense pour ses bons et loyaux service, Charles octroie au Comte de Toulouse le titre de Duc d’Aquitaine. Guillaume de Gellone devient donc le premier Duc d’Aquitaine à participer aux guerres d’Espagne, attachant ainsi symboliquement ses seigneurs à la Reconquista.
LA TROISIEME GUERRE HISPANIQUE CAROLINGIENNE (796-800), DITE « CROISADE DES PRINCES: LOUIS ET PEPIN »
Louis, âgé de vingt et un an, et Pépin, son cadet, de dix neuf ans, vont être les généraux de cette expédition qui a pour but essentiel la création de la Marche d’Espagne. Leur père, vient d’accueillir à Aix la visite du chef sarrasin Lata. Il est accompagné dans son ambassade d’un autre chef du nom d’Abdallah. Lata qui gouverne à nouveau Barcelone vient se placer sous l’autorité du Grand Roi.
A la demande de Charles, Louis, Roi d’Aquitaine, va constituer une armée qui va accompagner les conspirateurs arabes. La campagne sera rapide et menée de main de maître. Bientôt ils reprennent leurs anciennes possessions de Vich, Géronne et Casseres, en Catalogne. Louis tentera une nouvelle fois d’enlever Huesca mais il échouera en vain. La cité résiste. L’administration carolingienne va immédiatement placer sous contrôle ces territoires ou petites marches en installant un « Comte de la Marche » ou Marquis que l’on appelle quelquefois Duc (Dux), c’est-à-dire Général qui va gouverner sur les régions conquises.
Au cours des années 797 et 798, les Francs vont tenter de reconquérir Huesca et Barcelone sans y parvenir malgré de nombreuses razzias réalisées dans la région de Huesca. L’année 798 verra la fortification des cités de Ausona, Cardona et Caserras. En 799, Huesca promet sa reddition mais ne la fait pas. Enfin, Louis, excédé, il décide en 800, de livrer les combats devant Barcelone, Lérida et Huesca mais sans résultat, semble-t-il.

LA QUATRIEME GUERRE HISPANIQUE CAROLINGIENNE (801-803), DITE « SECONDE MISSION DU DUC D’AQUITAINE : GUILLAUME DE GELLONE »
Charles est sacré Empereur depuis le 25 décembre de l’an 800 et se trouve à la tête d’un immense empire. On n’en finit pas de louer le nouveau César Auguste, couronné par Dieu. Théodulphe, évêque d’Orléans, écrira un dithyrambe flatteur en l’honneur de Charlemagne. Ce bref discours rend hommage à la Guerre Sainte entreprise dans toutes les provinces conquises :
« Que le Monde Entier, Ô roi, retentisse de tes louanges.
Quoi que l’on puisse dire de ta gloire, on en dira jamais assez.
Tu rappelles par ta sagesse Salomon, par ta force David,
Par ta beauté Joseph. Tu protèges les richesses de tes sujets,
Tu châties les crimes, tu distribues les honneurs :
C’est pourquoi tous ces biens te sont accordés.
Réjouis-toi en recevant les trésors immenses que Dieu
T’envoie des Terres de Pannomie. Rends-lui de pieuses actions
De Grâces, et que ta main comme elle le fait toujours,
S’ouvre largement pour lui.
Voici venir la nation des Huns, aux cheveux tressés
Prête à servir le Christ.
Que l’Arabe suive leur exemple. Hâte-toi Cordoue
D’envoyer à notre roi, digne de tout honneur,
Les Trésors amassés depuis de longs siècles.
Arabes et Nomades, venez aux pieds du roi ;
Comme les Avars, fléchissez devant lui vos genoux
Et vos cœurs. Les Avars étaient aussi cruels, aussi
Féroces que vous. Celui qui les a domptés
Saura bien vous dompter à votre tour ».
Le « Message de Paix » louant les exploits de Charlemagne et dédié aux peuples du royaume carolingien ne pouvait guère rapprocher les Francs et les Arabes. Le seul chef musulman a envoyé un hommage à l’empereur fut le Calife abbasside de Bagdad, Haround Al-Rachid. Parmi les présents réunis par son ambassadeur se trouvait un éléphant, dont nous reparlerons, nommé Aboulabas qui fit un effet sensationnel.
Mais les Arabes d’Espagne restèrent, on s’en doute, insensibles mais pas indifférents à ces événements.
En 801, Guillaume met en fuite l’armée de secours envoyée par Cordoue, mais Barcelone qui s’était rendue à Louis la même année après deux ans de siège repasse sous domination arabe.
Le Roi d’Aquitaine organise alors la quatrième guerre, aidé dans son entreprise par le nouveau Duc d’Aquitaine, Guillaume de Gellone. Cette campagne va s’achever brillamment par la prise de Barcelone en 803. Cette victoire est l’œuvre de Guillaume dont la gloire ne cesse de grandir.
La Marca Hispanica ou Marche d’Espagne est créé, la Septimanie est revenue à la paix, Guillaume est au fait de sa gloire. De retour en Aquitaine, il retrouve un ami d’enfance, un Goth nommé Witiza, connu sous le nom de Benoît en religion et fondateur de l’abbaye d’Aniane qui deviendra un des plus grands monastères de l’Empire carolingien.
Convaincu par son exemple, las de la guerre, Guillaume fonde en 804 deux monastères, l’un au diocèse d’Uzès, Caseneuve, l’autre au diocèse de Lodève, Gellone.
Le Duc d’Aquitaine prend l’habit monastique en 806 après avoir donné ses armes à Brioude et reçu la tonsure à l’abbaye d’Aniane. L’Abbaye bénédictine languedocienne de Gellone deviendra aussi réputée que sa voisine d’Aniane et il en résultera une querelle que tranchera la Pape Urbain II en les séparant définitivement.
La Quatrième Croisade d’Espagne s’achève donc par le retrait de la vie publique de son principal acteur et héros. Guillaume de Gellone, Duc d’Aquitaine, meurt en 812 en odeur de Sainteté. Son tombeau fait l’objet d’un pèlerinage et son nom se changera progressivement entre le XIe et XIIIe siècle en Saint Guilhem Le Désert.
LA CINQUIEME GUERRE HISPANIQUE (806-808) : « CREATION DE LA MARINE CAROLINGIENNE »
La Navarre et les Asturies reconnaissent en 806 la souveraineté franque sur les territoires conquis. Charles à Thonville où il passe l’hiver décide le 6 février 806 de partager son empire entre ses trois fils mais il en garde la jouissance. D’ailleurs il profite d’un peu de répit pour s’occuper des affaires de l’empire car ces croisades ont miné l’économie carolingienne. La situation montre une période de décadence économique. En 804 il avait tenté de développer le commerce le long des côtes en installant des comptoirs gardés par des fonctionnaires francs achalandés en partie par les pèlerins anglo-saxons au nord. Les produits venant d’Orient, épices, cuirs, parfums etc, transitaient par les ports méditerranéens et atlantiques de Bordeaux et Nord. Mais une nouvelle menace surgit du nord de l’Europe. Les Vikings qui possèdent le royaume du Jutland descendent le long des côtes franques qu’ils pillent et ravagent. Au sud la situation n’est guère meilleure, la domination arabe ruine l’économie du Midi de la France et du bassin méditerranéen. Déjà les Francs avaient dû faire face à cet ennemi au cours d’une entreprise maritime hasardeuse aux Baléares montrant la faiblesse de leur flotte et de leur force sur les flots de la Méditerranée.
L’activité maritime des ports francs périclite. Les Vikings et les Arabes bloquent ceux-ci forçant le royaume à devenir un état agricole. Charlemagne irrité décide de se doter d’une marine de guerre et confie cette tâche à son fils Louis pour mettre fin aux incursions des Normands et des Musulmans. Il entreprend la construction de nouveaux navires et Boulogne deviendra en 808 la ville maritime de la Gaule. Un autre chantier de construction et de réparation est ouvert à Gand en Belgique. Malgré cela Charlemagne ne pourra jamais rivaliser avec les bateaux de ces nations qui connaissent la navigation depuis de nombreux siècles.
La cinquième croisade malgré tout, est en route et se joue sur terre et sur mer. Louis, Roi d’Aquitaine, va construire à Bordeaux des vaisseaux destinés à empêcher l’accès de l’estuaire de la Gironde. Il agit de même sur les côtes narbonnaises et de la Septimanie contre les expéditions mauresques. Dans le même temps, Louis, alors que se constitue la marine, poursuit la croisade en Navarre et remporte une cuisante victoire sur les Musulmans à qui il prend Pampelune en 806. Les armées franques interviennent partout dans le nord de l’Espagne, l’ennemi est harcelé sur terre et sur mer mais conserve ses positions. Néanmoins il s’affaiblit face aux armées franques, et à l’ost du roi de Galice et des Asturies. Les pertes en hommes sont lourdes pour les Arabes au cours de l’année 808. La Cinquième Croisade resserre les liens d’amitiés entre Louis d’Aquitaine et le Souverain de Galice. Le Roi Alphonse II adresse à Charlemagne d’énormes présents et un grand nombre de prisonniers maures afin « qu’ils lui appartiennent en propre ».
On peut considérer la cinquième croisade comme importante sur le plan diplomatique et militaire. Ils sont le fruit des liens d’amitiés et de l’aide militaire échangés depuis 793 entre les deux royaumes. S’il n’y eut pas de grandes victoires pendant cette croisade, les résultats politiques auront pour l’avenir des conséquences décisives.
LA SIXIEME GUERRE HISTORIQUE CAROLINGIENNE (809-814) : « CROISADE DE LOUIS LE PIEUX »
Louis Le Pieux ou le Débonnaire lance à nouveau en 809 une sixième expédition contre l’Espagne musulmane mais subit un échec devant la ville de Tortosa en Catalogne. Pendant ce temps les Maures envahissent la Corse le Samedi Saint faisant de nombreux prisonniers qu’ils emmènent en esclavage. Le Roi d’Aquitaine est vaincu dans un premier temps sur tous les fronts. Charlemagne à Aix La Chapelle apprend que les Vikings lui ont fait avec deux navires d’énormes ravages sur les côtes nordiques. Partout il décide de renforcer ses défenses maritimes. Au sud les Maures effectuent une autre incursion en Corse et envahissent cette fois-ci l’Ile de Beauté toute entière. Autre malheur, autre symbole, l’éléphant Aboulabas, offert par Haround Al-Rachid, qui suit Charlemagne dans toute ses conquêtes guerrières, afin probablement d’intimider ses ennemis, meurt au camp de Lippenheim au bord du Rhin. Tout semble aller mal au royaume du grand empereur. Louis échoue à nouveau devant Tortosa en 810. Il faudra attendre l’année 811 pour qu’enfin la cité assiégée maintenant depuis presque deux ans finit par se rendre constituant la Marche d’Espagne chère au cœur de Charlemagne. Begon, gendre de Louis Le Pieux, aura la mission de terminer la pacification de la Catalogne. Celle-ci durera jusqu’en 813 et se clôturera par une brillante victoire sur un vieil ennemi qui n’a pas encore payé sa dette.
Le royaume d’Aquitaine qui s’étend alors jusqu’à la Basse Loire et comprend les Comtés de Berry, d’Auvergne et du Velay comportera au sud un territoire qui s’enfoncera d’environ cent cinquante kilomètres dans les possessions musulmanes. Il englobe les Asturies sous domination franque, ce qui deviendra la Navarre constituant à présent la Marche d’Espagne.
Le Roi sarrasin Abulaz va en 812 signer un traité de Paix avec l’Empereur, mais la trêve sera de courte durée. L’année suivante ils pillent une fois de plus la Corse. La marine carolingienne qu’il croise en Méditerranée leur dresse une embuscade. Irmingar, Comte d’Ampurias, leur inflige prés de l’Ile de Majorque, une défaite et leur enlève huit vaisseaux et délivre cinq cents Corses captifs. C’est l’une des plus grandes victoires navales carolingiennes. La domination franque ne s’arrêtera pas à cette victoire en cette année 813. Begon, gendre de Louis Le Pieux, poursuit la lutte contre les Vascons. Ces derniers tentent de rééditer l’embuscade de 778 à Roncevaux. Mais à leur tour ils seront trahis, leurs chefs seront arrêtés et condamnés à la pendaison. Trente cinq ans après le massacre de Roncevaux, Rolland et les preux chevaliers de la Chansons de Geste seront vengés.
Avec ces dernières victoires, la paix signée l’année précédente avec le Roi sarrasin Abulaz est validée. A l’automne 813, Charles désigne Louis à la succession de l’Empire après l’avoir fait mander à Aix La Chapelle car il sent sa fin venir. Il meurt le 28 janvier 814 à 72 ans au matin. La Paix règne en son royaume, le Preux Rolland est vengé, il peut après un règne de quarante six ans rejoindre celui des cieux, sa mission divine sur terre est terminée.
Ainsi s’achève la Sixième Croisade carolingienne. Durant trente cinq années de luttes incessantes, Chrétiens et Musulmans se seront livrés une lutte sans merci sur terre et sur mer.
Mais les croisades d’Espagne ne s’achèvent pas pour autant. La Reconquista qui engendrera l’unification de la nation espagnole sera secondée dans cette aventure par les Duc d’Aquitaine qui n’hésiteront pas à partir à croisade pour l’amour du Christ.
LA SEPTIEME GUERRE HISPANIQUE CAROLINGIENNE (820-824) :
« SECONDE DESASTRE DE L’ARMEE CHRETIENNE A RONCEVAUX »
Après sa première expédition de 815, Louis Le Pieux signe une trêve de trois ans avec son ennemi musulman en 817. Celle-ci avait été organisée à la demande des Chrétiens du nord qui subissaient l’oppression constante des Arabes. Ces Mozarabes se plaignaient du lourd tribut payé à l’envahisseur pour avoir le droit d’exercer leur religion. Leur seul soutien, après la mort de l’empereur Charlemagne, devenait Louis dont il connaissait la bravoure et son désir de poursuivre la politique de son père en Espagne.
Louis connaît bien celle-ci pour y avoir effectué plusieurs campagnes. En 810 ou 812, selon les sources, rentrant de Pampelune, il manqua se faire écraser dans les défilés montagnards. Ayant remarqué des signes de déloyauté chez les Basques, il avait eu l’intelligence de prendre en otages les femmes et les enfants de ces perfides sujets. Ecoutons ce que nous dit l’astronome Marca à ce sujet.
« L’an 810 (ou 812), le Roi Louis après voir apaisé les troupes de Gascogne, voulant s’assurer de la fidélité des habitants de Navarre, passa les monts et vint à Pampelune où il fit quelque séjour, y établissant les ordres qu’il jugea estre à propos et, ce fait il se retira.
Néanmoins, avant de se commettre aux destroits des montagnes, il voulut se prononcer contre la perfidie naturelle et accoustumée des Vascons et empescha qu’il ne lui arrivast inconvénient à celui de son père.
Car il fit saisir les femmes et les enfants de ces montagnards qui estoient desjà aux embûches, et pour donner terreur aux autres, il fit arrester et pendre le premier d’entreux qui s’approcha pour défier les troupes, ainsi que l’on trouve escrit dans l’auteur de sa vie ».
Le surnom de débonnaire donné au Roi Louis Le Pieux ne trouve pas ici un terrain glorieux pour son image de marque. Cette action est peu chevaleresque et il se conduit comme un vulgaire soudard de bas étage. La noblesse des hommes ne se mesure à la grandeur du titre mais à leur valeur humaine et il n’existe aucune gloire à terrifier femmes et enfants pour sauver ou protéger sa vie. Louis ne méritait pas la victoire, Dieu allait juger et punir.
La Paix de Saragosse signée en 817 amènera une sécurité toute relative entre les deux royaumes. Le Comté de Barcelone est uni plus étroitement à l’empire carolingien et il est une des principales préoccupations du souverain chrétien.
En 820, éclate l’affaire du Comté de Barcelone. Le Comte Béra, Goth d’origine, est accusé de sympathie avec l’ennemi par un autre Seigneur de souche gothique. L’affaire est portée devant la cour d’Aix La Chapelle où l’accusé est tenu de s’expliquer sur ses agissements douteux. Accusé de haute trahison, le Comte Béra de Barcelone est jugé. Le tribunal décide qu’un duel départagera les protagonistes de cette affaire. Il se déroulera selon l’usage gothique. L’accusateur de Béra vaincra le traître. Louis Le Pieux ou le Débonnaire dépossédera le Comte et le remplacera par Bernard de Septimanie, fils du célèbre Guillaume de Toulouse, le héros de la Chanson de Geste.
En Espagne, Pampelune fait au nouveau parler d’elle. Les Annales carolingiennes nous apprennent que les habitants de la cité et les Navarrais ayant juré fidélité à l’empereur en 806 se rebellent. En 821 se déroulent plusieurs campagnes, l’année suivante une autre se dirige vers Lérida. Les troubles s’étendent et en 824, Louis confie aux Comtes Ebles et Aznar le commandement de ce qui va être une croisade catastrophique et va devenir le « Deuxième Roncevaux ».
Selon les Annales, l’armée chrétienne subira une extermination presque complète. Ecoutons la chronique de l’Astronome P. de Marca :
« …L’Empereur fut obligé d’envoyer (en Espagne) des troupes de Gascons, sous la conduite des comtes Ebles et Asenarius (Aznar), l’an 824 ».
« Ils vindrent à Pampelune et y exécutèrent tout ce qui leur avoit été ordonné pour le service de leur maistre. Mais voulans se retirer, les ennemis leur donnèrent des empeschements et taschèrent de leur couper les passages ordinaires ».
« Ce qui les obligea d’avoir recours aux habitants des montagnes pour leur montrer quelques routes escartées ; ceux-ci, usans d’une grande perfidie les menèrent dans les embûches que les Sarrasins leur avoient dressées au milieu des montagnes, de sorte que leurs troupes furent taillées en pièces et leurs chefs pris, l’un desquels, açavoir est Ebles, fut envoyé en triomphe au roi de Cordoue, à qui on devoit rendre conte de cette action ».
Basques et Sarrasins vont s’allier une nouvelle fois et leur collaboration va être tragique pour les deux envoyés de Louis Le Pieux. Il est probable que ce désastre soit dû à l’impossibilité de trouver une solution diplomatique à la situation de Pampelune par les deux envoyées de Louis. Pire, ils auraient pu offenser les Basques espagnols et les Arabes dans leurs entreprises et auraient provoqué la colère qui leur sera fatale. Au passage des ports pyrénéens, ils furent surpris par une attaque identique à celle subit par Roland et l’arrière garde franque. Celle-ci comme la première sera meurtrière. Les Comtes Ebles et Aznar seront faits prisonniers. Ebles, probablement plus puissant, sera envoyé à Cordoue alors que le Comte Aznar, Basque de Gascogne, sera remis en liberté. L’envoie à Cordoue du Comte Ebles montre une étroite coopération entre les Basques et Musulmans de Cordoue.
La septième croisade s’achèvera par un désastre total. L’armée chrétienne taillée en pièce aura de lourdes conséquences. Après ce deuxième Roncevaux, les Basques vont constituer un nouveau royaume. L’empire carolingien va voir naître le petit royaume de Pampelune qui souhaite vivre comme au temps des Wisigoths.
LA HUITIEME GUERRE HISPANIQUE CAROLINGIENNE (826 A 828) : « LA CROISADE DE PEPIN, ROI D’AQUITAINE, FILS DE LOUIS LE PIEUX »
Les Musulmans poursuivent leurs vexations à l’encontre des Chrétiens. Excédés, les Mozarabes de Mérida s’en plaignent dans une missive qu’ils adressent à l’empereur Louis Le Pieux. Dans sa réponse, en 826, ils les exhortent à poursuivre leur révolte contre l’injustice arabe et leur promet l’envoi d’une armée sur Barcelone qui est repassée sous contrôle arabe. Cette nouvelle campagne aura lieu l’été prochain et l’armée attendra le moment favorable pour défaire Abd El Rahman lorsqu’il s’approchera de Mérida. Son plan est de lancer une attaque sur les frontières de la Marche pour l’empêcher de s’en prendre aux habitants de la cité. Il promet en outre sa protection et son assistance à ceux qui souhaiteront s’installer sur ses terres sans leur percevoir un quelconque tribut.
L’Emir de Cordoue ne s’inquiète nullement de ces préparatifs de guerre. Les événements de Mérida n’étaient pas sa préoccupation majeure et il préféra envoyer son armée au secours de la révolte d’Aizon.
Louis Le Pieux confia le commandement de son armée à son fils cadet, Pépin, Roi d’Aquitaine. Celle-ci n’arriva en Espagne qu’en 827. Pépin et ses généraux ne semblaient guère pressés de parvenir en Espagne. Les régiments étaient dirigés par des chefs déloyaux qui, ennemis du Comte de Barcelone, Bernard de Septimanie, retardèrent délibérément l’arrivée des secours. L’armée chrétienne de Pépin arriva trop tard et les territoires de Barcelone et de Gérone furent ravagés par les Sarrasins d’Abd El Rahman.
Louis fut très courroucé de la conduite de son fils Pépin. Les Comtes qui commandaient les troupes d’Aquitaine, Hugues et Matfrid, sont privés de leurs charges.
La trahison de Pépin a d’énormes rebondissements dans le royaume franc. Il se rapproche de Lothaire, co-empereur et proche parent des deux seigneurs remerciés. Louis envoie l’année suivante, en 828, ses deux fils, Lothaire et Pépin, à la frontière de l’Espagne. Les incursions arabes se font de plus en plus meurtrières et la Marche d’Espagne est en danger. Pratiquement parvenu à leur destination, ils s’en retournent car les Sarrasins ont interrompu leurs raids et ne présentent plus de danger. Cette attitude inconcevable il y a quelques années à l’égard des populations mozarabes montre combien la politique des souverains carolingiens avait changé envers ses possessions en Espagne et le monde chrétien. Ils en étaient arrivés à assurer simplement un rôle policier sur leur territoire afin d’obtenir un semblant de stabilité. Cette défection de l’armée franque dans ses comtés espagnols par le passé avait déjà provoqué la rébellion d’Aizon en 826. Aujourd’hui elle favorisait la création de petits royaumes chrétiens sous la domination des descendants des Rois Wisigoths. L’Espagne chrétienne avait besoin d’aide mais le royaume franc est en crise. Petit à petit, on voit se fortifier des états chrétiens.
Les Asturies et la Galice ne peuvent bientôt plus compter que sur elles-mêmes et reprennent à leur compte l’idée de Guerre Sainte avec le monde musulman.
A la cour de Louis Le Pieux, la révolte gronde. L’affaire se complique lorsque des seigneurs ambitieux mettent en doute la conduite de l’impératrice Judith. Bernard de Septimanie, Comte de Barcelone, est le favori des époux impériaux. On accuse Judith d’adultère avec Bernard et de vouloir la mort des trois fils d’Hirmingarde. Lothaire et Pépin font céder Pépin et l’impératrice est enfermée à Poitiers au monastère Sainte Radegonde. Bernard de Septimanie s’enfuit à temps, pour échapper à ses détracteurs. Il faudra attendre octobre 830 à l’Assemblée de Ninsègue pour que cette révolution de Palais cesse. Louis s’est réconcilié avec ses fils, Pépin et Louis, et envisage de s’emparer de l’Italie où règne Lothaire, son fils aîné. Judith est autorisée par une assemblée d’évêques à rejoindre son époux.
La Huitième Croisade faillit être le naufrage de Louis Le Pieux. Les intrigues familiales et la déloyauté des seigneurs de sa cour minèrent l’efficacité de son intervention en Espagne. La Septième Croisade connut le désastre du Deuxième Roncevaux et la Huitième fut le naufrage de la mission chrétienne de la France en Espagne. La politique de Louis Le Pieux en Espagne fut un échec complet et laissa la Marche d’Espagne en grand danger.
Epilogue
En 831, Louis partage son royaume entre ses trois fils qui reprennent la lutte contre Judith et finissent par la faire enfermer à nouveau au couvent. Habile, elle en ressortira peu après et vaincra peu après les trois fils d’Hermengarde et obtiendra un royaume pour le futur Charles Le Chauve. Louis Le Pieux mourra en 840 et Judith qui avait toujours été la maîtresse de Bernard de Septimanie décédera trois ans plus tard. La liaison des deux amants avait commencé avant que celle-ci ne devienne l’épouse de l’empereur et s’était poursuivie après son union avec Louis. Un jour, elle s’aperçut qu’elle portait le fruit de ses amours avec Bernard, fils de Guillaume d’Orange. Pour éviter le scandale, elle lui fit donner le Duché de Septimanie, l’éloigna ainsi de la cour et se montra très attentionnée à son mari.
La naissance du futur Charles Le Chauve fit plaisir aux acteurs de ce ménage à trois. Mais le ver était dans la pomme. Wala, ancien conseiller de Charlemagne et mari de la demi-sœur de Bernard, connaissait le secret. Haïssant le Duc de Septimanie, il dévoila celui-ci à Lothaire et la lutte repris au Palais. Wala fut disgracié et Bernard devint Chambrier de l’Empereur. Judith avait su déjouer les intrigues.
Le traité de Verdun fut signé en juin 843 et Charles devint le souverain du royaume de Francie occidentale. Mais il sut qu’il n’était pas le fils de Louis Le Pieux et pour sauvegarder son trône il devait se débarrasser d’un témoin gênant : Bernard de Septimanie.
Ecarté de la cour depuis 833, celui-ci rêve de se construire un royaume indépendant à partir de la Marche d’Espagne conquise par son père, Guillaume de Gellone. Durant dix années, il va, par une politique habile, acquérir une grande puissance, mais au prix de nombreuses trahisons qui finiront par lasser ses alliés.
Charles Le Chauve ne l’aime guère et surtout lui en voulait pour n’être pas intervenu au cours de la bataille de Fontenoy. Bernard de Septimanie, ce jour-là, est resté sans bouger, attendant de voir qu’elle serait l’issue de la bataille afin de se ranger dans l’un ou l’autre camp.
Charles, courroucé, met le siège devant Toulouse au mois de mai 844. Bernard, sûr de lui, se présente devant la Tente Royale pour traiter, mais Charles le fait arrêter sur-le-champ, le fait juger par un tribunal d’exception et obtient sa condamnation à mort. Selon certains auteurs, il est décapité sur-le-champ, selon Auguste Comte Charles Le Chauve fait poignarder son père.
Par ce parricide, Charles récupère l’Aquitaine du sud et la Septimanie. Mais Toulouse résiste et ne se rend pas. Le siège se poursuit et il attend des renforts. Il se produit alors un coup de théâtre le 14 juin. L’armée de réserve qui doit le rejoindre se fait surprendre près d’Angoulême par l’ost de Pépin II soutenue par celle de Guillaume, le fils de Bernard de Septimanie, les Comtes Turpion d’Angoulême et Landri. Ce sera un véritable massacre. Sur le champ de bataille, Hugues l’Abbé, fils bâtard de Charlemagne, Ricbodon, abbé de Saint Riquier, et Nithard l’historien, neveu de Louis Le Pieux, ne se relèveront pas. Ebroïn de Poitiers et Loup de Ferrières seront faits prisonniers. Charles doit lever le siège de Toulouse, la révolte gagne une grande partie des seigneurs de son royaume et il devra restaurer son autorité.
Ainsi, s’achève la Huitième Croisade d’Espagne entreprise par Pépin et dont les conséquences désastreuses trouveront leur épilogue dans le pays angoumois.

DE LA BATAILLE DE RONCEVAUX A LA BATAILLE D’HASTING
L’EXPEDITION DES NORMANDS : UNE MIGRATION BELLIQUEUSE
C’est une croisade d’un genre un peu particulière que vont mener les Normands qui n’obéissent qu’à une loi, la leur. Considérés comme des Païens par les francs, ils vont néanmoins servir à la cause chrétienne même si leurs navires apportent la désolation et la mort sur les côtes de l’Empire carolingien. Ne poursuivant pas les mêmes buts que les Rois chrétiens, ils vont affaiblir les défenses des forteresses arabes et, de ce fait, participer involontairement à la victoire du monde chrétien sur le monde musulman. D’ailleurs, ils finiront par se convertir et se sédentariser en France après avoir semer indifféremment le désordre chez les uns et les autres.
Cette expédition des Normands était à but lucratif dirions-nous aujourd’hui. Attirés par les richesses du monde arabe, ils allèrent donc batailler sur le sol de l’Espagne musulmane et pillèrent les grandes cités détenues par les Califes. La Paix signée entre Arabes et Francs en 812 ne fut que peu troublée. Les deux antagonistes avaient bien fort à faire avec ce troisième trouble fête, se jouant des uns et des autres sur l’échiquier politique européen de cette fin de IXe siècle. Ces razzias n’en prenaient pas moins sur le sol arabe l’allure d’une croisade, ces guerriers étant devenus chrétiens quelques temps plus tard, il apparaissait normal de les associer à l’esprit de la Reconquête.
LA DIXIEME CAMPAGNE (857-860): « L’EXPEDITION PUNITIVE D’HASTING LE CONVERTI »
HASTING : Chef Viking de nationalité danoise. Comte de Chartres. Né vers 810. Décédé vers 890.
Ce redoutable guerrier d’origine scandinave pourrait, selon certains historiens, être né près de Troyes, plus exactement à Transcot ou Trancault près de Marcilly, canton du département de l’Aube, à la suite des déportations massives de population païenne et insoumise en pays franc. Fuyant cette terre inhospitalière et ennemie, il rejoint sa terre natale et devient marin. Après de
nombreuses années d’aventures maritimes où pillage rime avec saccage, il débarque en 838 à Noirmoutiers où le chef de l’expédition, un nommé Horic, trouve la mort. Ces hommes l’élisent à leur tête et il entraîne son armée en Bretagne. En 839, il dévaste la vallée de la Garonne. Ses exploits font de lui un chef incontesté des tribus nordiques et c’est à la tête d’une formidable armée en 845 qu’il poursuit le pillage de la côte Atlantique. Charles Le Chauve est impuissant devant cet ennemi rapide et redoutable. En 848, il pille l’Ile de Ré, le trésor monétaire royal de la ville de Melle puis pénètre à l’intérieur des terres et saccage Saintes, Angoulême, Blaye, Bordeaux à deux reprises. Puis, ce sera Périgueux, Fronsac, Sainte-Foy, Agen et Montauban pour retourner ensuite dans son refuge des bords de la Loire qu’il a « pacifiée ». Ce n’est qu’en 857 que germe en lui l’idée de partir en campagne sur les côtes d’Espagne et du Portugal. Une première tentative réalisée en 844 s’est soldée par un échec cuisant. Une flottille en rade dans la baie de Cadix avait déversé son lot de pillards qui avaient été massacrés par la suite par les soldats du Calife de Cordoue. Mais les survivants avaient vanté les richesses des villes arabes. En 858, il navigue avec une flotte estimée à 200 drakkars environs et abordent quelques semaines plus tard sur les côtes de la Corogne, pillent Porto sur le Douro et s’engage dans la vallée du Tage. L’entreprise, si elle n’est pas catholique, n’en est pas moins fructueuse. Ce que Charlemagne et l’armée franque n’ont pu réaliser, il le réussit avec panache. Cordoue, Séville, Malaga, Algésiras, Palma de Majorque seront pillées. Etablissant quelques temps ses quartiers en Camargue, il en profite pour écumer les côtes du Languedoc et de Catalogne, Agde, Narbonne, Barcelone, Tarragone, Marseille et la vallée du Rhône succombent. Arles tombe également. L’Italie l’attire et c’est au tour de Pise, Sienne et Florence qui seront saccagées sauf la ville de Luna où il prend ses quartiers d’hiver. Dans cette dernière, pensant qu’il se trouve à Rome, il demande au prêtre de l’instruire dans la religion chrétienne. Ce sera sa première conversion, il est vrai un peu particulière. Il sera baptisé le jour de Noël, quelques temps après en présence de tous ses soldats. Cette conversion passe pour un miracle dans la ville qui a été épargnée par les Vikings, car les portes en sont restées closes. Usant d’un monstrueux stratagème, il fait croire à sa mort prochaine et demande au prêtre d’être enterré en terre consacrée. Mort, sa dépouille pénètre dans la cité jusque dans la cathédrale où l’évêque le bénit. A cet instant, il surgit debout et décapite d’un coup d’épée l’évêque, dont on ignore le nom, donnant ainsi le signal de la curée. Après cet épisode sanglant, il s’en retourne en France, non sans essuyer quelques revers maritimes avec les Arabes qui le guettaient.
C’est lui, qui probablement en 859, alors qu’il regagne son refuge des bords de la Loire, s’arrête dans le golfe de Gascogne et pénètre à nouveau dans les terres. Avec ses Normands, il surprend Pampelune où il fait massacrer tous les habitants et se saisit du souverain chrétien, de Navarre Garcia Iniguez. Il lui impose une rançon exorbitante de 70.000 dinars en échange de laquelle, il lui restituera ses fils qu’il emmène comme otage. Cette défaite ruine le royaume navarrais ainsi que les espoirs de reconquête des Chrétiens sur les Arabes.
Après cette expédition, il parvient à Nantes où il reste quelques temps sagement. Il repart en 862 vers Toulouse, en 863 il occupe à nouveau la Charente. Il tue le 4 octobre le Comte Turpion et il assiège ensuite Poitiers. L’année 864 le retrouve dans la vallée de la Garonne, puis commence une partie de cache-cache avec un nouveau personnage de l’échiquier royal, Robert Le Fort, Duc de France. Acculé à Angers, il devra négocier et se retirer. Agé de plus de soixante ans, usé de tant d’aventures, il renoncera à sa vie aventureuse. Il sera fait Comte de Chartres et bien que président aux destinées d’une des plus grandes et prestigieuses citées de la foi chrétienne, il recevra à nouveau le baptême dans la paix du chœur et de l’esprit. Ce vieux loup de mer et renard terrestre contribuera indirectement à l’affaiblissement de la puissance arabe en Espagne, en France et en Méditerranée pendant ces campagnes punitives. Nul doute que sa présence le long des côtes espagnoles fixa l’attention des Grands Emirs et Califes arabes et qu’elle modifiera leurs plans en dépêchant sur sa personne et sa soldatesque, leurs troupes terrestres et escadres navales.
Hasting que le vent du large appelle à nouveau s’embarquera une dernière fois vers les côtes de la Mer du Nord et disparaîtra à tout jamais. A tout jamais, peut-être pas, car si sa tombe ne fut jamais retrouvée qui ne se souvient pas de la bataille remportée par Guillaume le Conquérant dans un lieu appelé Hasting, alors… ..peut on dire qu’il est mort, puisque son nom est resté à la prospérité.
L’ECLATEMENT DE LA MARCHE D’ESPAGNE
LE COMTE BORREL OU LA FIN D’UNE EPOQUE REVOLUE : « MORT D’UNE DYNASTIE »
Sous le règne de Louis Le Pieux, les Mozarabes subissent une énorme oppression. Sous Charles Le Chauve, cette situation va encore s’aggraver, et au Xe siècle, l’idée de guerres chrétiennes va pratiquement disparaître. La perte des valeurs chrétiennes au royaume franc va avoir de graves conséquences. La Marche d’Espagne va se séparer du royaume carolingien progressivement. L’Empire s’effrite et Charles Le Chauve se montre incapable de freiner le processus de dislocation en cours. Sous son règne, on voit également s’éteindre l’esprit des guerres chrétiennes. Ses successeurs Hugues Capet, Robert le Pieux et Henri Ier n’entreprendront aucune campagne militaire. Pire, lorsque le Comte Borrell de Barcelone appelle Hugues Capet à son secours, ce dernier lui impose auparavant de venir lui jurer fidélité et le sermonne pour ses sympathies avec les Musulmans.
« Si tu veux venir jusqu’à nous et si tu préfères notre service à celui des Sarrasins… »
Cette lettre fut, dit-on, rédigée par le moine Gerbert que connaissait bien le Comte Borrell pour l’avoir hébergé durant trois ans à Barcelone de 967 à 970.
Gerbert, qui sera élu Pape sous le nom de Sylvestre II, savait que le Comte entretenait des liens d’amitié avec Alhakam II de Cordoue. Ne reconnaissant pas les difficultés politiques dans lesquelles se débattait le Comte de Barcelone, isolé du royaume de France, ils lui imposaient de venir faire soumission avant de l’aider militairement. Borrell refusa car il pensa que Hugues Capet n’enverrait jamais les renforts demandés. Le Capétien était fort occupé à régler ses propres problèmes avec son rival Charles de Lorraine. Aussi préféra-t-il se passer de la France et poursuivre ses ambassades auprès de ses proches voisins recherchant des alliances lui évitant le pire. Ainsi, petit à petit, la Marche d’Espagne se détacha du royaume de France et se divisera en plusieurs comtés héréditaires.
L’EXPEDITION PUNITIVE DE ROGER DE TOENI LE MERCENAIRE
Selon Adhémar de Chabannes et l’historien sicilien Amari, la Comtesse veuve Ermesende de Barcelone loua les services d’un mercenaire nommé Roger de Toeni. Sur les ordres de celle-ci, il mena une guerre sans merci aux Sarrasins. Sa cruauté alla jusqu’à faire cuire les prisonniers pour les dévorer ensuite. Il inspirait une telle terreur aux Musulmans qu’ils se résignèrent à lui payer tribut. Selon Adhémar de Chabannes, il épouse une fille d’Ermesende. Le fait semble n’être que pure affabulation de la part de notre chroniqueur charentais car cette fille nous dit Ramon Menendez Pidal n’a jamais existé. De même, l’anecdote sur des actes d’anthropologie serait une pure légende car jamais tout au long de la Reconquista on releva de tels actes barbares. Pour l’historien sicilien Amari, l’Emir de Denia qui entretenait une liaison amicale avec la Comtesse de Barcelone, enrôla des troupes normandes à sa solde et lui paya tribut.
Cette hypothèse paraît la plus vraisemblable. La présence de Roger de Toeni dont la réputation n’était plus à faire servit probablement les intérêts de la Comtesse Ermesende. Ses proches voisins préférèrent acquitter leur tribut plutôt que d’affronter le mercenaire et ses hommes qui sans être anthropophages n’en étaient pas moins de redoutables guerriers. L’Emir de Denia et les autres chefs arabes subirent très certainement les raids dévastateurs et meurtriers de ce condottiere qui ne reculait devant aucune cruauté. Ils choisirent la solution diplomatique au fracas des armes.
Une époque vient de se terminer, le monde médiéval est en pleine mutation et une aube nouvelle va s’ouvrir pour les hommes du XIe siècle.
