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LA CHANSON DE ROLAND - LA CHRONIQUE DE TURPIN EN TERRES CHARENTAISE - Mythes et Réalités en Terres Charentaises

LA CHANSON DE ROLAND - LA CHRONIQUE DE TURPIN, EN TERRES CHARENTAISES

AVANT-PROPOS

Si le texte manuscrit de la version d’Oxford raconte un épisode des campagnes carolingiennes en Espagne musulmanes, la chanson de geste est un poème narratif chanté, dont le sujet est la rencontre héroïque des chevaliers français face à un ennemi païen puissamment armé, qui luttent pour leur souverain et la gloire du Seigneur.

Le désastre de Roncevaux renaîtra à travers les récits légendaires qui feront de cette défaite une victoire, en transformant des faits historiques dramatiques pour les armées chrétiennes, afin d’en renverser le déroulement et lui insuffler l’esprit épique pour les besoins de l’idéal chrétien et chevaleresque de ce qui servira la cause des croisades d’Espagne.

Il faudra la personnalité puissante d’un poète du XIe siècle pour frapper l’imagination populaire, faire de cette chanson de geste un moyen de recrutement pour les armées chrétiennes du Moyen-âge, un thème porteur sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle, notamment le » Camino Francès » et un monument de la littérature française.

Charlemagne est le chef incontesté des francs et leur chef suprême. Il est inspiré de Dieu qui lui envoie ses anges et le prévient par des songes prophétiques d’évènements à venir. Roland, est le chevalier qui symbolise les vertus chevaleresques, le dévouement à son suzerain et à sa foi. C’est un homme d’honneur et de devoir qui obéit à son roi sans contestation. Il allie courage et témérité, ce qui précipitera sa chute et sa mort.

Plusieurs manuscrits servirent à l’écriture de la « Chanson de Roland » telle que nous la connaissons dans la version d’Oxford. La « Nota Emilianenses » est un récit en langue romane espagnole écrite entre 1065 et 1075. Elle relate la venue de Charles à Saragosse. Au milieu du XIIe siècle, apparaissent la « Historia Karoli Magni et Rotholand du Pseudo Turpin », livre IV du « Liber Sancti Jacobi » puis le « Guide des Pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle » livre V du Liber Sancti Jacobi, vers 1150. En 1170, un prêtre allemand du nom de Konrad rédige son « Ruolandesliet ». Ces refontes de la chanson se poursuivront jusqu’au XIVe siècle. Au XIXe et début du XXe siècle de nouvelles études et reproductions apparaîtrons régulièrement dans les éditions françaises et étrangères ainsi que dans les publications locales et régionales

Mais Turold demeurera, l’auteur d’une fresque chevaleresque qui traversera le temps et l’histoire.

De nombreuses légendes locales viendront enjoliver la suite du célèbre poème et les chemins de Saint-Jacques serviront de trame au récit qui jalonneront les sanctuaires chrétiens jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle. Les moines utiliseront les pages de la canson et la « Vita Caroli » d’Eginhard pour inventer des reliques afin d’attirer les pèlerins dans leurs monastères et recueillir leurs nombreux dons, alors qu’aucune laisse de la chanson n’évoque à un quelconque moment le chemin de Saint-Jacques dans ses pages.

Le texte d’Oxford, écrit par Turold, trois siècles après la campagne guerrière menée par Charlemagne en Espagne peut être reconnu comme une œuvre qui serait la synthèse de récits oraux et grossiers, mis en valeur par un auteur de génie, dont le souffle épique est incomparablement supérieur à celui de tous ces prédécesseurs.

Ainsi va la Geste.

LA CHRONIQUE DE TURPIN, EN TERRES CHARENTAISES

PREAMBULE A UNE ETUDE DE LA FRISE DE ROLAND DE LA CATHEDRALE SAINT-PIERRE D'ANGOULÊME

Aigolant - Le Souffle de l’épopée en Terres Charentaises

Le cycle épique d’Aigolant en terres charentaises paraît trouver son origine dans la « Canso d’Antiocha » ou chanson d’Antioche, datant de la première moitié du XIIe siècle. Ce texte fut écrit entre 1130 et 1142 par le chevalier limousin de Saint-Yrieix, Gregori Bechada. La Cansò nous est parvenu par un manuscrit du XIIe, qui a appartenu à l’église de Roda, dans le diocèse de Barbastro, province de Huesca. Aujourd’hui, il repose à la Bibliothèque de l’Académie d’Histoire de Madrid . Ce document nous rapporte le récit de la bataille d’Antioche, les croisés se trouvent dans une situation délicate voir désespérée. Persans, Turc et Arabes les encerclent. Sentant leur prochaine fin, ils entament la Cansò.

« Ar ausirethz batalha mesclar en tal senblan, anc non aussi tan fera deus lo tems aisansan Oliviers fo aussi e Turpin e Royhan, Estote e Angeliers, Gilis el coms Galans, Oto e Berenguers, Gaifres e … … … … …, e gran masa dels autres, no vos sai dire cant ; Gaines lo traï et us velhs Anquelan e Marsilis lo ros. Dieu en sial or dians ! els caps de Roçavals. Dieu en sia perdonans ! Tro a la fi del mon er grans la perda et dans. E sapio Serazi e la paguana gens C’ancor n’er pres vengansa !

« Vous allez maintenant entendre la bataille se livrer, de telle sorte que jamais on n’en ouïe une aussi dure, depuis le temps ou moururent ensemble,

Olivier, Tupin et Roland, Estot et Angelier, Gile et le Comte Galan, Oto et Berenguer, Gaifre et … … … … … et un nombre d’autres, je ne sais vous dire combien. Ganelon la trahi ainsi que le vieil Anquelan, Et Marsile le Roux, que Dieu les maudisse ! sur les hauteurs de Roncevaux, que Dieu les pardonne ! Jusqu’à la fin du monde, grands seront la perte et le dommage. Mais que les Sarrasins et la gent païenne, sachent qu’on en tirera vengeance ».

Dans une version tardive du « Ronsasvals » datant de la fin du XIIIe siècle, Anquelan se lit Angelan. Le texte retrace un épisode de la bataille de Roncevaux, qui dans cette version de la chanson, dure plusieurs jours.

« Au crépuscule du second jour, il ne reste plus de Païens, Hors, un seul d’entre eux, le « félon Angelan », qui se glisse Clandestinement, dans le camp chrétien. Au levé du jour Suivant, il va demander secours à Marsile, en lui rapportant Que, seuls, trente Français demeurent vivants, avec un Diable nommé Rollan, qui manie une terrible épée Durandart. »

Ces récits sont intéressants à plus d’un titre. Premièrement l’orthographe phonétique se rapprochent singulièrement entre les formes Anquelan et Aigolan. Secondo la forme Angelan paraît être la racine de ce qui deviendra l’appellation Aigolan, symbiose des noms Anquelan et Angelan. Aigolan nous semble être probablement une déformation phonétique des termes précédents, trouvant son origine dans le langage saintongeais. Troisièmement, les pratiques guerrières d’Aigolan, décrites dans les documents étudiés, rappellent étrangement les méthodes de guérilla employées par le chef musulman dans nos provinces, lors de sa lutte avec Charlemagne.

Anquelan, Angelan, Aigolan semble être à notre avis qu’un même et seul personnage.

A quelle date, a pu se développer la légende d’Aigolan, dans les deux Charentes ? Nous pensons que cela a pu se produire vers la deuxième moitié du XIIe siècle. Celle-ci trouva probablement un terrain de prédilection à la cour d’Aquitaine où Aliénor encouragea vraisemblablement sa diffusion.

Grégori Bechada fut certainement l’invité de la souveraine qui l’écouta chanter la « Canso d’Antiocha ». Le vent de l’épopée s’empara du texte, qui envahit les campagnes charentaises et saintongeaises et ainsi pris naissance la légende d’Aigolan. Il n’est pas un seul lieu de ces régions où n’a retentit le fracas des armes entre chrétiens et musulmans et qui ne revendiquent une de ces terribles batailles que se livrèrent Charles et Aigolan.

Le cycle d’Aigolan, insaisissable guerrier musulman, naquit de l’imagination féconde d’un chevalier chrétien, natif du Limousin. C’est ainsi que le mythe rolandien s’enracina profondément dans notre terroir alors que son berceau originel était bien éloigné de nos provinces.

La « Canso d’Antiocha » et le « Pseudo Turpin Saintongeais » s’entremêlèrent et enfantèrent un grand nombre de légendes que l’on conta le soir dans les chaumières. Ce fut une nouvelle résurrection pour Roland et les Pairs du Royaume. Un nouveau souffle épique enflamma, campagnes, plaines et forêts, entre les deux grandes routes de Compostelle qui passaient à l’ouest, la «Via Turonensis» et l’autre vers l’est, la «Via Limovicencis», de nos contrées. Les pèlerins se dirigeant vers la Saintonge, gardaient ainsi toujours en mémoire, le sacrifice et le martyre des chevaliers francs qui donnèrent leur vie pour libérer le tombeau de l’Apôtre Jacques.

Nous sommes à l’époque des croisades et ne voulait-on pas rappeler à chaque instant, qu’il fallait des soldats du Christ, pour combattre les Musulmans ? En entretenant le souvenir de Charles et de Roland, on espérait peut-être un enrôlement de volontaires pour celles-ci. Le Cycle d’Aigolan et la « Canso d’Antiocha » servirent probablement les intérêts de celles-ci, dans une région jugée par trop timorée, où le patriotisme n’était pas considéré comme une priorité, par les populations locales.

Quoi qu’il en soit, le cycle d’Aigolan dans nos Charentes, nous laissa de bien belles pages d’héroïsme.

La Pseudo chronique du Turpin saintongeais

La chronique Saintongeaise de Turpin et la chronique de Saint-Denis évoquent d’incessantes rencontres ponctuées de batailles et de tueries. Il semble que les récits, dont l’origine postérieure (probablement XIIe siècle) ne fait aucun doute, sont écrits afin que le lecteur ou les spectateurs, tenus en haleine par les troubadours, attendent impatiemment et infatigablement le commencement d’une nouvelle aventure opposant le bien contre le mal, la foi chrétienne contre la religion païenne. Ainsi se poursuivent inlassablement chevauchées fantastiques, constructions de monuments, dépôts de reliques, recueillement sur les tombeaux des saints pèlerinages et toujours des joutes chevaleresques.

La Saintonge, la Charente et de nombreuses autres provinces de France possèdent leur cortège de légendes, construites selon le même style que la Chanson et la Geste, afin d’en perpétuer l’esprit, cela dans le but d’inciter la noblesse et la « populace » à s’engager dans les croisades d’Espagne, ou à prendre son bâton de pèlerin pour Compostelle. Bien souvent ils entamaient le pèlerinage et s’engageaient dans les armées chrétiennes comme le souhaitait le clergé, mais souvent, obligés par les impératifs politiques et militaires, la possibilité de parvenir à Saint-Jacques de Compostelle, passait par un enrôlement pour parvenir jusqu’au tombeau de l’Apôtre .

Nous ne pouvions clore ce chapitre de la chronique saintongeaise, sans-vous conter, cher lecteur, une énième légende sur Charles, dans la région, après la défaite de Roncevaux

« Charles est bien triste et Dieu que la route est longue. Le silence règne sur la troupe, l’armée est en deuil. La monotonie berce homme et chevaux sur les chemins indécis et tortueux qui mènent Charles et son ost jusqu’à Dax. Harassés de fatigue, las de la guerre, les heaumes bosselés, les hauberts lacérés, le corps souillé de sang des blessures, ils sont plusieurs milliers à quitter les défilés inhospitaliers de l’Espagne maures. Seule la brise de l’océan qui gémit à quelques lieues, leur apporte quelques apaisements. Charles, bercé par ses pensées, chevauche Tencendar, son destrier harnaché d’or. Il se souvient des derniers instants de son combat avec Baligant, le vieil émir à la force robuste, venu de Babylone pour le réduire. Blessé à la tête par le Païen , l’archange Gabriel envoyé par Dieu le rappelle à la vie. Se sachant désormais invincible, il reprend ses sens et sa vigueur et lui brise le heaume sertie de pierres précieuses. Il fend la tête de son adversaire et l’abat mort sur le champ de bataille, mettant en déroute l’armée païenne. Il rêve à présent la main posée sur le pommeau de « Joyeuse », toute souillée encore du sang de l’émir. Geoffroy d’Anjou, son gonfalonier, et le Duc de Naîmes, respectent le mutisme de leur maître. Une grande tristesse couvre le visage du grand Roi. Celui qui a châtié les Vascons, chassé les Sarrasins, pris Saragosse, baptisé cent mille Païens, brisé les idoles et rempli ses coffres de butin, ne peut oublier la perte de son neveu et de ses preux chevaliers. Jamais plus il ne chassera à leur côté, ne fera ripaille. Charles pleure ses amis. Un chariot richement drapé, transporte dans une châsse d’or fin, sertie de pierres précieuses, couvertes de fines étoffes de soie et scellés dans des urnes de marbre blanc, les cœurs de Roland, d’Olivier et de l’Archevêque Turpin. Derrière, sur une autre carriole suivent leurs dépouilles. Une escorte d’honneur, formé de Thibault et cent chevaliers en armes, escortent les charrettes. Cousus dans des peaux de cerfs et recouverts d’un drap de soie de Galaza, les corps inanimés des preux tombés à Roncevaux, ouvrent le cortège mortuaire qui s’en revient en France».

La légende relate un passage de la Chanson de Geste dans cette partie du récit. La Chanson de Roland rapporte ainsi cet événement. « Charles se laisse choir sur le corps de Rolland, pousse de grands cris, pleurs et soupirs, serre les poings, s’arrache les poils de la barbe et de sa moustache, tire ses cheveux et s’égratigne les ongles. ».

L’empereur fait embaumer les corps de Roland, Olivier et de l’Archevêque Turpin. Il les fait ouvrir tous trois devant lui ; il fait placer leurs cœurs dans une étoffe de soie et on les enferme ensuite dans un blanc cercueil de marbre. Les uns furent enduits de myrrhe, les autres de baume, les suivants de sel et furent transportés à Arles. Puis on prit les corps des trois barons et on les mit dans une peau de cerf, après les avoir bien lavés d’aromates et de vin. Le Roi ordonne à Thibault et à Gébous, au Comte Milon et au Marquis Othon, de conduire ces trois corps sur les trois charrettes, où on les a couverts d’un drap de soie de Galaza .

« Garde le moi bien, lui dit-il, comme le félon qu’il est : il a livré les miens par trahison.

Ainsi parle Charles dans la Geste.

« Bégon le reçoit et met auprès de lui cent compagnons de sa cuisine, des meilleures et des pires. Chacun le frappe quatre fois de son poing. Puis ils le battent rudement à coup de bûches et de bâtons, lui mettent une chaîne au cou, l’attachent comme un ours et le jettent ignominieusement sur un cheval de somme » . Ils le gardent jusqu’au jour où ils le rendront à Charles, mentionne la Chanson de Roland. Mais à la faveur de la nuit, délivré de ses chaînes par quelques gardes soudoyés, Ganelon s’enfuit. Charles entre dans une très grande colère .

Mais il ne s’attarda pas dans ces pensées, car déjà, bien que le jour déclina, il apercevait au loin les tours du Château de Belin . C’est ici qu’il choisit d’ensevelir les corps de ses braves chevaliers. Roland, Olivier et l’Archevêque l’accompagneront jusqu’à Paris où il a choisi de les inhumer dans les antres du moustier de Saint-Denis . Charles qui maintenant se repose, reçoit en songe un nouveau présage de Dieu. Il se trouve près d’une rivière et combat un ours à qui il passe une corde au cou. A son réveil, il s’interroge sur la signification du message divin, sans trouver la réponse. Il doit s’occuper sans tarder de donner une inhumation aux dépouilles de ses neufs pairs. Une fois la cérémonie accomplie, il reprend la route de Bordeaux car une longue route l’attend jusqu’à Paris.

A Saint-Seurin de Bordeaux , il dépose l’Olifant sur l’autel. Poursuivant son chemin, il traverse la Gironde sur de grands bacs et fait dresser devant les murs de Blaye les tentes pour y passer la nuit. A l’église Saint-Romain de Blaye il dépose les dépouilles de Roland, d’Olivier et de, l’évêque Turpin de Reims . Alors que l’aube se lève juste à peine il est réveillé par les cris de Bégon, son chef cuisinier, qui donne l’alarme. Sachant la colère qu’il encourt il pénètre sous la tente du roi des Francs et l’informe de la nouvelle.

« Sire, le traître Garrelon, s’est détaché et enfui à la faveur de la nuit. Sans doute quelques gardes qu’il aura soudoyé, l’auront aidé à délier ses cordes ».

La colère de Charles est immédiate.

« Comment oses-tu te présenter ainsi à moi, toi qui n’a pas su veiller sur le meurtrier de Roland ? Je veux qu’on le retrouve pour punir ce traître. Hâte-toi de retrouver les coupables si tu ne veux pas que ma colère rejaillisse sur ta tête.

Il faut venger le sang de Roland ».

Tous les Pairs du Royaume sont ensuite convoqués pour entendre sa volonté. Le Duc de Naîmes après l’avoir entendu lui suggère.

« Quel meilleur refuge que sa forteresse de Tonnay-Charente, pourrait trouver le félon ».

Convaincu par cette sage réflexion, Charles s’empresse de remettre les corps de Roland, Olivier et Turpin, aux gens d’église. L’église Saint-Romain de Blaye abritera le dernier sommeil des preux du grand Charlemagne. Les grands sarcophages de marbre renferment les corps parfumés d’encens et de myrrhe et les cloches de Saint-Romain sonnent le glas. Depuis ce jour de larmes, l’âme de Roland et de ses amis flottent au-dessus des marais et des landes de l’estuaire. Si vous y prêter attention peut-être parviendrez-vous à les distinguer dans la brume courant sur leurs fougueux destriers. Charles s’arme à nouveau. Ses chevaliers ont revêtu leurs plus belles armures. Les heaumes ornés de pierres précieuses scintillent sous l’aube qui se lève. Dans le brouhaha des préparatifs apparaît ensuite le soleil qui fait étinceler les écus, les lances et les épées. Une forêt de fer et d’étendards, flotte dans les prairies de Blaye. Une nouvelle campagne s’ébranle le long de la Gironde et se dirige sous la brise matinale vers la cité de Pons. Dans la cité pontoise, il ordonne au Comte Ravel de partir en reconnaissance avec cinquante chevaliers pour aller recueillir des informations à Tonnay-Charente et trouver un gué pour le passage de l’armée, sur la Charente. Avant qu’il ne parte il lui donne « Hauteclaire », la précieuse épée d’Olivier en signe d’amitié.

« Reçois ce fer qui jamais n’a failli à celui qui le tenait. Que Dieu te garde, toi et tes compagnons, en sa sainte protection ».

Ravel ne pouvait recevoir de son roi plus grand honneur. Pieusement il baise le pommeau de cristal, incrusté d’or et d’argent, puis enfourche si énergiquement son destrier qu’il semble voler au-dessus de l’herbe verte. Ses amis éprouvèrent grand-peine tant il coursait si vite.

Laissant la grande voie romaine qui conduisait à Saintes, ils évitèrent celle-ci en passant par Tesson, Thenac, Pessine et Ecurat. Dans ce dernier hameau se trouve une prairie qui vient mourir auprès de la rivière et qui recevra plus tard le nom de Bois des Héros, en souvenir de ceux qui tomberont à la grande bataille qui se déroula en ce lieu. Sur l’autre rive, se dresse sur son pic escarpé, le Château de Taillebourg . Comme la nuit va tomber Ravel fait dresser les tentes. Les chevaux, vidés de leurs selles, paissent l’herbe tendre. L’onde chatoyante chantonne sur les berges fleuries et berce le sommeil des Chrétiens dont les lances sont plantées dans le sol. Inconscients du danger qui les guettent, ils dorment si profondément qu’ils n’entendent pas l’éclaireur sarrasin qui les surprend. Aucun homme de guet ne veille sur leurs repos. Le Sarrasin s’en retourne sans inquiétude vers son chef Aigolant.

Installé à peu de distance, Aigolant, qui harcèle inlassablement Charlemagne, a remonté la Charente avec ses navires. C’est au port de la Pierre, au sud-est de Tonnay, que mouille sa flottille, au confluent de la Charente et de la Boutonne. Son camp, élevé à la Motte, est très proche des Francs. Informé de leur présence il leur fait grâce de ne pas les anéantir durant leur sommeil, malgré les avis contraires de son conseil. Homme fin et rusé il ne souhaite pas encourir le terrible courroux de Charles. Néanmoins, il met à profit la nuit pour préparer une embuscade.

« Margariz, je te donne six hommes habiles et courageux et vous aller suivre mon conseil. Vous couperez des fleurs et en ferez des bouquets odorants que vous fixerez au sommet des lances fichées en terre. Les Francs offensés de leur honneur bafoué ne manqueront pas de nous chercher querelle, ainsi nous les rencontrerons dans un combat loyal en un lieu où nous aurons préalablement échafaudé nos plans ».

N’est-il pas étrange, de retrouver une nouvelle fois ce guerrier, sur la route de Charlemagne. Margariz fut l’un des rescapés du massacre de Roncevaux et il poursuit de sa vengeance les chevaliers francs. Le destin le projette une fois de plus en présence d’Olivier le Preux. Olivier mort, c’est son épée « Hauteclaire » qui va échouer dans cette entreprise contre les arabes vouée à l’échec. Une calamité semble s’acharner sur Olivier et ses armes. La vengeance n’aura pas lieu, Hauteclaire ne pourra rendre le coup de Roncevaux et venger son habile serviteur, qu’elle accompagna si souvent sur les champs de bataille. Pire, elle sera impuissante, face à Aigolant et verra périr Ravel. Le sort s’acharne sur l’objet sacré et paraît protéger Margariz.

La Chanson de Roland le présente ainsi à son commencement :

« Margariz de Séville possède la terre jusqu’à Cadix sur mer. Pour sa beauté les dames sont ses amies…Nuls Païens n’est aussi chevalier ».

A la cour du Roi Marsile où ont lieu les préparatifs de l’attaque de Roncevaux, il clame haut et fort :

« Ne vous effrayer point. J’irai à Roncevaux pour tuer Roland et Olivier n’emportera pas sa vie. Les douze pairs sont restés pour le martyr. Voyer cette épée dans la poignée est d’or : je la tiens de l’Amiral de Primes. Je vous jure qu’elle trempera dans le sang vermeil. Les Français mourront, la France tombera dans la honte. Charles le Vieux, à la barbe fleurie, ne passera de jour sans colère et douleur. D’ici un an, nous aurons pris la France et nous coucherons à Saint-Denis. Le Roi Païen s’incline profondément ».

Margariz est un chef de guerre. Il a la bravoure et la beauté des preux. C’est un digne adversaire. La Chanson de Geste se devait de le représenter animé de nobles sentiments guerriers. Elle en fait un chevalier, mais aussi l’égal de Roland et de son ami Olivier. Meilleur hommage pouvait être rendu à un ennemi de la cause chrétienne. Nulle lâcheté, nulle fourberie ne l’entache, c’est un noble chevalier musulman et un habile combattant.

Suivons-le à présent sur le but de sa mission. Les sept cavaliers armés de courtes dagues s’éloignent en silence vers le camp ennemi. A une centaine de pas, ils tombent à terre, attachent leurs bêtes aux arbres d’un bosquet, puis s’avancent prudemment dans les ténèbres. Le faible bruit de leur pas est couvert par le tintamarre des animaux nocturnes. Chouettes, grenouilles, renards mènent grand tapage et les Sarrasins silencieux fleurissent selon les ordres de leur maître Aigolant, une à une, les lances de l’escouade franque. Margariz a accompli celle-ci avec succès et il se retire en silence avec ses hommes. Pas un Chrétien ne se réveille et lorsqu’ils se lèvent au chant du coq les paupières encore lourdes de sommeil, ils restent béats de surprise.

Le Comte Ravel n’en croit pas ses yeux. Il aperçoit des lances ornées de bouquets fleuris. Ses compagnons ne peuvent retenir un cri d’étonnement. L’un d’eux s’écrie :

« - Les Sarrasins sont ici. Déjà à Sahagun, ils nous avaient provoqué ainsi. Ils ne peuvent être loin, ceci est un avertissement.

C’est bien parlé, approuve aussitôt le Comte Ravel. Nous devons laver cette humiliation. Pour Dieu et notre Roi Charles, nous vengerons notre honneur. Montjoie ! s’écrie la troupe ».

Alors qu’ils sellent leurs montures et procèdent aux préparatifs de la rencontre, la petite brise matinale déchire le voile de brume au-dessus de la Charente.

Un écu sarrasin qui accroche le premier rayon de soleil dévoile la présence musulmane aux Chrétiens.

Un instants hébété les chevaliers chrétiens poussent en chœur le cri de « Montjoie », sautent sur leurs chevaux armés, piquent des éperons et se ruent à l’assaut des Musulmans. C’est pure folie, que de voir ces cinquante hommes se heurter au rempart solide des milliers de Sarrasins. Malgré leur bravoure au combat le sort de la bataille est décidé d’avance. Ravel manie habilement l’épée « Hauteclaire » et fait des ravages parmi les rangs adverses. Ses compagnons taillent et piquent si bien, que le pastel des fleurs à virer au rouge sang. Le sang sarrasin coule dans l’herbe verte.

« - Chiens de Païens », s’écrie Ravel ivre de colère, en s’élançant sur Aigolant qui observe la scène à l’écart avec quelques-uns de ses valeureux guerriers.

Levant « Hauteclaire » au-dessus de sa tête il s’apprête à l’abattre de toutes ses forces sur Aigolant. En habile cavalier il esquive le coup et désarçonne le comte Ravel en déséquilibre. Sautant de son cheval à son tour Aigolant pourfend Ravel qui pourtant s’est relevé pour le combat. A l’exemple de leur maître, les musulmans écrasent en un tour de main, la troupe de reconnaissance franque, où gisent tels des pantins dégingandés dans les vertes prairies d’Ecurat, les chevaliers de Charlemagne.

Mais déjà Charles est en route, ne songeant qu’à sa vengeance. Bientôt il sera à Tonnay où un gué lui permettra de faire traverser son armée. Tout à ses pensées il manque de tomber de cheval. Tencendar vient de buter contre un corps qu’il identifie sans peine. Il reconnaît le chef de son escorte de reconnaissance. Ravel le visage tranché en deux, repose mort dans l’herbe. Levant la tête il aperçoit l’effroyable carnage à l’autre bout du champ où ses chevaliers ont été massacrés.

Ivre de rage, la mort dans l’âme, il enlève les corps et leur fait donner une sépulture descente à l’ombre d’un monastère voisin.

Les relevés d’empreintes, réalisés par les éclaireurs, lui apprennent que cette tuerie et une œuvre arabe et ceux-ci ont franchi la Charente, près de Geay.

Aigolant compte rejoindre ses navires qu’il a laissés à Port La Pierre, pour remonter la rivière jusqu'à Tonnay-Charente, où il pense pouvoir se retrancher. Mais Charles le presse et l’oblige à modifier ses plans.

Rattrapé près d’Archingeay, il est refoulé vers les Vincons. De plus en plus acculer contre les rives de la Boutonne, il l’enferme sur un plateau dominant près de Champdolent. La ruée est furieuse, les cris de « Précieuse » et « Montjoie » résonnent à des lieues à la ronde, de chaque côté de la rivière. Une atroce et sanglante bataille se déroule à Champdolent qui devient un véritable champ de douleur. Les corps s’entassent, se vident, parsèment le sol et un flot ininterrompu de sang s’écoule vers la Boutonne. Charles affronte Aigolant et se blessent mutuellement. Aigolant découpe de l’épée une partie de la tête de Charles dont l’os nu apparaît. Charles de son côté entaille l’épaule du Sarrasin d’un coup porté par « Joyeuse ». Aigolant effrayé de perdre la vie s’enfuit avec le reste de son armée et parvient à atteindre son mouillage à Port La Pierre. C’est en hâte qu’ils embarquent et s’échappent à bord de leurs vaisseaux, craignant la colère de Charles, dont l’immortalité les effraie.

Mais Charles est gravement blessé et ne peut les poursuivre. Il lui faut refaire ses forces et c’est avec regret qu’il laisse s’échapper le renégat ne pouvant cette fois encore en finir. Fatigué, il regarde les voiles sarrasines gonflées par le vent, s’éloigner sur le flot limpide de la rivière Charente. Charles ne reverra Aigolant qu’à Pampelune où leur lutte trouvera leur aboutissement selon les légendes du Chemin de Saint-Jacques de Compostelle, le Camino Francés . Peu après, négligeant ses blessures, il reforme ses rangs et se dirige vers le lieu de sa vengeance. Parvenu à Tonnay, il donne l’assaut à la forteresse dont il vient d’enfoncer les portes et se lance à la poursuite de Ganelon, le félon.

Ce dernier, sentant sa fin proche, tenta une sortie discrète par une poterne. Mais cette issue dérobée dans le mur des fortifications est puissamment gardée. Reconnu, il doit rebrousser chemin rapidement, la meute soldatesque à ses trousses. Poursuivi, il passe de courtine en courtine, mais finalement pressé, il se trouve pris au piège, ne pouvant pas se défendre les armes à la main, il est désarmé, puis ligoté sans ménagement. Présenté à Charlemagne qui ne daigne pas lui accorder un seul regard, il est entraîné dans un cul de basse fosse où on lui passe les fers.

Il restera enfermé ainsi toute une semaine, avant que ne se réunisse un tribunal de barons, qui le jugera pour ses crimes. Le jour du jugement, Ganelon, les pieds et les mains chargés de chaînes, est amené devant ses juges. Attaché à un poteau, il est livré à la colère des petites gens. Devenu le plus méprisable d’entre eux, les serfs le fouettent à coups de nerfs de bœuf. Charles feignant de ne le point voir s’adresse à ses barons et leur dit :

« - Seigneurs, nous devons ce jour juger Ganelon pour ses crimes. Douze pairs du Royaume ont péri par sa félonie. Acheté par les Païens, Roland mon neveu, Olivier mon sage ami et Turpin l’Archevêque ont souffert le martyr. De nombreux soldats francs sont tombés sur-le-champ de bataille de Roncevaux. Je réclame justice et vengeance. Seigneur barons jugez bien. »

Ganelon à ces mots tente de se défendre. Parents et amis sont ici pour le soutenir et l’écouter, prenant la parole il s’adresse à ses juges en ces termes.

« Messires juges, toujours j’ai servi notre Roi avec zèle et fidélité. Son neveu Roland ne m’aimait point, lui qui me fit envoyer comme ambassadeur auprès du Roi de Saragosse espérant me voir mort dans cette mission. Je n’échappai à Marsile que par intelligence et me vengeait de Roland et Olivier en combattant leur hostilité à mon égard. Ce ne sont que mensonges, cria Thierry. Pendons-le. Vous mon parent, mon cher Pinabel, qui avez l’écoute de notre Roi, obtenez ma grâce. Sauvez-moi de la ruine et de l’ignominie dans laquelle on me veut jeter. Charles, Roi des Francs je te mets au défi sur-le-champ, s’écrie Pinabel. Désigne ton champion. Thierry serait-il plus habile l’épée à la main que le verbe à la bouche ? Consens-tu à accepter ce combat singulier et la vie de trente de mes parents en gage . Messire, acceptez le défi, prenez mon gant. Faites de moi le champion de Dieu, proposa Thierry le genou au sol attendant la volonté de son Roi ».

Charles en cet instant se leva et annonça :

« - Qu’il en soit ainsi selon le jugement de Dieu. Thierry et Messire Pinabel s’affronteront dans les lices du château, au bord de la Boutonne. Que chacun se prépare à recevoir les sacrements derniers ».

Après avoir communiés et revêtus leurs habits, les chevaliers se présentent en armes dans le champ clos. Prêts pour le combat, ils éperonnent leurs chevaux et après une courte chevauchée, lances et boucliers s’entrechoquent effroyablement. Sous la violence du choc, les hommes tels des pantins désarticulés, sont désarçonnés, volent dans les airs et retombent lourdement sur le sol. L’assistance est pétrifiée l’horreur.

Assommés mais vivant les deux champions, encore abasourdis se cherchent et se foncent dessus les épées à la main. Thierry plus prompt et mieux remis de sa chute porte un coup terrible à Pinabel. Il lui brise le heaume et lui fend le crâne en deux. Mortellement blessé, Pinabel s’écroule dans l’herbe tachée du sang de l’infamie. Dieu a décidé, sa justice a parlé.

A présent, chevaliers et barons entourent Thierry et le félicitent chaudement. A l’approche de Charles, la communauté s’écarte. Charles encore ému approche de son preux et de ses gants de martres essuie le visage ensanglanté de son vassal.

« - Braves chevaliers, lance-t-il à leur encontre, que devons-nous faire des sujets qui m’ont été en otages ? ».

En chœur ils s’élèvent tous d’une même voix :

« Qu’ils meurent ! ».

La sentence de mort fut prononcée par le duc de Naîmes, Ogier de Danemark, Geoffroy d’Anjou. Parmi l’assemblée se trouvait également Guillaume de Blaye, enfant du pays. Charles après cette condamnation unanime appela son viguier pour que la sentence soit exécutée.

« - Maître Basbrun, lui dit-il, procédez à leur exécution ».

Basbrun fit élever les gibets et les prisonniers furent amenés sur le lieu de leur pendaison.

Ganelon et les trente otages se balancèrent bientôt au bout de la corde. Ganelon fut l’un des derniers à mourir, les spasmes secouant horriblement son corps, les yeux exorbités de la tête jetant un dernier regard sur le monde des vivants. Après un dernier soubresaut sa tête retomba en avant, et son âme noire s’envola vers l’enfer.

Les serfs le décrochèrent et le jetèrent sur les ordres de Charlemagne, dans un puits creusé dans le château. Ses armes et son heaume accompagnèrent le traître, et afin que nul ne put un jour arracher son corps de sa noire demeure, ce puits insondable fut comblé de pierres. Après plusieurs journées de labeurs, les serfs comblèrent le gouffre jusqu’à la margelle. Lorsque le château fut rasé mille ans après, il fut retrouvé dans un puits des vestiges d’armure, d’armes et un fragment de crâne. Etait-ce son épée « Murglais », celle sur laquelle il jure, la main posée sur les reliques enfermées dans son pommeau la trahison de Roncevaux, la mort de Roland et celle des douze pairs du royaume franc ? Etait-ce le tombeau de Ganelon le félon ?

La Chanson de Roland trouve ici la fin d’un épisode de son histoire. Mais les chroniques perpétuent les légendes, parmi lesquelles sommeillent des faits historiques si parfaitement dissimulés qu’il est parfois difficile de percer leur secret. Mais les légendes seraient-elles aussi merveilleuses à lire et à entendre, sans cela ? Mais poursuivons à présent notre recherche en terres charentaises.

La Fondation de l’Abbaye de Baignes

La chronique latine du Pseudo-Turpin qui ne remonte qu’au XIIe siècle mentionne l’intervention de Charlemagne à Baignes . Situé au sud de la Charente, ce village charentais faisait partie du diocèse de Saintes, où la présence de Charlemagne et Saint-Jacques est fortement représentée. Aussi n’est-il pas surprenant de le rencontrer de nouveau dans ce lieu reculé du département.

L’Abbaye Saint-Etienne de Baignes est située dans le Petit Angoumois. Cathmériac aujourd’hui Baignes fut installée sur les rives de Cavallon aujourd’hui le Pharon. Elle aurait été construite par Charlemagne en 769 à la même époque que celles de Charroux et de Brantôme.

Quelques auteurs racontent que son origine remonterait au IIe siècle de notre ère et qu’elle aurait été fondée par Saint-Martial, apôtre des Gaules . Ces témoignages ne reposent sur aucun fondement sérieux. Détruite par les Sarrasins elle aurait été rebâtie par Charlemagne. Nous retrouvons ici l’univers de la Pseudo chronique de Turpin. Charles parcourant la Charente à la poursuite d’Aigolant, le rejoint à Baignes. Le chroniqueur parle de cette aventure en ces termes :

« Si l’ateint à Yvier où il ocist set mire Sarrazins. Puis s’en torna à l’abaie de Beagnie, que Aigolanz avoit détruite. C’é qui fit sevelir ses barons car Sainz-Marçans l’avoit édifiée ».

La chronique comporte dans son édition de 1527 des interpolations supplémentaires, datant du XIIIe siècle, différentes de la Pseudo Chronique Saintongeaise, qui montrent que l’on ne peut raisonnablement pas prendre en considération l’année 769, comme origine de la fondation de l’abbaye de Baignes.

Selon l’abbé Nanglard son église fut reconstruite au XIe siècle et consacré un 15 mai entre 1060 et 1066, peut-être en 1063 ou 1064 selon certains auteurs. Il existait très certainement un centre religieux important à Baignes auparavant, comme le prouve la liste des abbés, dont le premier paraît de 1032 ou 1037 à 1066, mais Charlemagne fut-il comme le préconise l’Abbé Michon le fondateur de Baignes. Il place cette fondation au IXe siècle, alors qu’à la même période Eusèbe Castaigne estimait cette légende suspecte et avançait la théorie que l’abbaye n’avait pas dû être fondée avant le XIe siècle. Le fait que l’on ait rien retrouvé sur Baignes pour la période carolingienne remet en question les théories de l’abbé Cholet, éditeur du Cartulaire de Baignes parut à Nantes en 1868 et qui s’efforça de démontrer la fondation carolingienne de Baignes à partir de la Pseudo Chronique de Turpin.

Les affabulations datant du XIIIe siècle, si elles nous enchantent et s’inscrivent dans le contexte légendaire, ne peuvent être prise comme une source historique sérieuse. Les traditions populaires, l’engouement qu’elles provoquèrent tout au long des siècles, enflammèrent bien souvent l’esprit romantique des scribes et chroniqueurs, qui ne manquèrent pas d’enjoliver, de déformer et d’écarter de toutes réalités historiques certains faits qui s’étaient réellement produits, ne permettant plus après cela de leur accorder une quelconque authenticité sans preuve matérielle visible. Ainsi l’édition de 1572 comporte des altérations nouvelles par rapport aux trois manuscrits de la version saintongeaise de la pseudo chronique, modifiant le sens, la valeur, la destination des événements et causant un préjudice irréparable à toutes les valeurs historiques pouvant subsister dans le texte portant déjà sujet à caution.

Mais il nous reste malgré tout, de bien belles histoires qui appartiennent à notre patrimoine littéraire. Charles vint-il ou non à Baignes, la question reste entière, mais la légende veut qu’il mit sur l’autel de l’église autant de reliques qu’à Notre Dame de Soulac, autre point de départ vers Saint-Jacques de Compostelle. Une bataille se déroula-t-elle près de Baignes ? Les traditions populaires le disent. Le Poitou-Charentes regorge d’innombrables histoires et anecdotes se rapportant à Charlemagne et à Roland. Il est certain que leurs noms et leurs actions servirent les desseins politiques des Croisades d’Espagne depuis la défaite de Roncevaux et tout au long de la Reconquista.

Taillebourg et la légende des « Lances Fleuries »

Charles, le bon Roi très chrétien, assis en son trône de la cité de Taillebourg où coule une eau limpide du nom de Charente, tenait son conseil.

Le chef musulman Aigolant, à la tête de son armée forte de 7000 Sarrasins, voulant occire Charlemagne, prit la ville de Saintes.

« Prié par le Grand Roi de la lui rendre, offre qu’il déclina, les préparatifs d’une importante bataille se menaient bon train. Le jour avant la rencontre, Charles divisa les corps de son ost dans les prairies de la cité de Taillebourg. Bons, nobles et preux chevaliers chrétiens atournèrent leurs lances et les apprêtèrent pour le combat . Ainsi les fichèrent-ils en terre, toute droite devant leurs tentes dans l’attente de l’ultime rencontre du lendemain. Lorsqu’ils s’éveillèrent au petit jour, qu’elle ne fut pas leur surprise de les trouver toutes recouvertes d’écorce et de rameaux feuillus. Pour la gloire de Dieu, les chevaliers dont les lances étaient ainsi parées, devraient mourir en bataille et recevraient le martyr pour Jésus Christ. Moult joie éclaira leur visage et d’un geste prompt et sûr, ils tranchèrent leurs lances au ras de la terre, s’assemblèrent puis se jetèrent les premiers dans le combat. Ils tuèrent de nombreux Sarrasins. Mais toutefois ils reçurent le martyr car pas un réchappa. Quatre mille, de valeureux guerriers tombèrent. Le cheval de Charles fut abattu sous lui. Il en eu grand grief, à pied il reprit cœur à l’ouvrage, réunit ses gens et ainsi tous à pied, ils se portèrent au-devant des Maures effrayés par tant d’ardeur.

Ceux qui ne succombèrent pas, ne purent supporter la rudesse de l’engagement. Harassés par la fatigue, incapable de résister aux assauts des Francs, la fuite fut leur seul salut. Pressés par Charles, ils se réfugièrent derrière les murs de la cité de Saintes que celui-ci assiégea immédiatement. Il ceintura de guerriers tout le mur d’enceinte de la ville afin que nul infidèle ne s’en échappe. Seul, le mur devant l’eau de la Charente ne peut être tenu. Aigolant n’eut d’autre ressource que de quitter subrepticement de nuit, par la voie des eaux, la cité perdue pour lui. Charlemagne entra ensuite en ville et tous ceux qui ne se convertirent pas au christianisme furent passés au fil de l’épée. »

Pour célébrer cette grande victoire, Charles, Roi des Francs, fonda la chapelle en l’honneur de Saint-Saornin. Aujourd’hui nous l’appelons Saint-Sornin de Séchaud.

Ecurat et le « Bois des Héros »

Selon Saint-Denis, un autre chroniqueur, relate le miracle des « Lances Fleuries » . Selon lui celui-ci eut lieu non loin du village d’Ecurat à proximité de la cité de Saintes. La terrible rencontre des armées chrétiennes et musulmanes évoquée précédemment fut déplacée de quelques lieues et engendra une nouvelle légende, dont la toponymie locale a conservé le souvenir. Ecurat possède sur son territoire un bois appelé le « Bois des Héros », qui fait référence aux chevaliers du Saint-Empereur qui livrèrent le combat aux guerriers du chef des infidèles, Aigolant. C’est ici dans ce bois qu’ils fichèrent quelques-unes de leurs lances en terre, devant leurs tentes. A leur réveil ils furent étonnés car celles-ci s’étaient recouvertes d’écorce et de feuillage. Les possesseurs des lances fleuries seraient les élus choisis pour mourir et recevraient le martyr au cours de la bataille pour l’amour du Christ. Saint-Denis confirme le récit apocryphe de Turpin en précisant que la rencontre fut terrible, et Charles perdit son cheval tué sous lui.

Les siècles conservèrent l’anecdote et chose curieuse, il se trouve que la commune possède un fief qui porte le nom de « La Morinerie ». Aujourd’hui un élégant château du XVIIe siècle a remplacé une ancienne gentilhommière fortifiée qui fut elle-même édifiée sur les ruines d’une forteresse maure d’où le nom de « Morinerie ». De même l’église Saint-Pierre datant du XIIe siècle montre une influence mozarabe dans l’abondante ornementation qui décore le monument.

Trizay et la « Lance de Charlemagne »

Deux lieux dits rattachés à la commune de Trizay conservent le souvenir du séjour des troupes carolingiennes et de leur chef.

1) Le premier, « Monthérault », possède une église romane dont la construction fut ordonnée par Charles, pour honorer les hauts faits d’armes de ses valeureux chevaliers et soldats, tués en ce lieu par les guerriers infidèles d’Aigolant. L’origine du nom de ce village signifie, le Mont des Héros qui devint dans le langage populaire, Monthérault. Cette appellation est à rapprocher d’un autre terme toponymique situé sur la commune d’Ecurat, dont le nom de « Mont des Héros » à rapprocher du « Bois des Héros », à Ecurat. C’est une allusion directe à la guerre de harcèlement que se livrèrent dans la région les monarques chrétien et musulman .

2) Un autre récit légendaire reste attaché au sol de la commune. Situé au nord-est de Trizay, le lieu connu sous le nom de « La Vallée », est un havre de paix, situé sur les bords de notre douce rivière Charente. Depuis la préhistoire les hommes ont occupé ce site magique. Habitats préhistoriques, monuments mégalithiques jalonnent les voies protohistoriques et romaines empruntées depuis ces époques reculées par les civilisations précédentes. Carrefour stratégique et politique, Trizay fut visité à de nombreuses reprises au cours de son histoire. Ses nombreux points d’eau, ses routes anciennes ont facilité à toutes époques la pénétration des invasions barbares.

3) C’est ainsi que non loin du dolmen « La Pierre Levée » se déroula un autre épisode légendaire de la lutte incessante d’Aigolant et Charlemagne. Les anciens racontent :

« Charles, le Saint-Empereur, fatigué par la longue chevauchée, planta dans une veine rocheuse en calcaire sa longue lance qui laissa un énorme trou. Par ce geste il signifia à son armée que ce lieu serait une halte de repos pour les hommes et les bêtes. » .

Les vieilles gens, dépositaires des traditions ancestrales appuient leur récit en montrant un trou pratiqué dans une roche blanche calcaire des environ. Harassé par sa poursuite. Charles se serait reposé un moment en ce lieu pour recouvrer ses forces.

La Presqu’île d’Arvert, fuite et retraite d’Aigolant

La pseudo chronique saintongeaise de Turpin et les légendes locales n’en finissent pas de narrer les poursuites et les luttes qui opposèrent Francs et Arabes. Un autre récit nous raconte un nouvel épisode de cette lutte incessante.

« Aigolant fuyait aussi vite qu’il pouvait devant les armées carolingiennes qui le pourchassaient. Il rejoignit Fouras, mais Charles le forçat à nouveau à Châtelaillon. Glissant une fois encore entre les mailles du filet tendu par Charlemagne, il parvint à Marennes, puis débarqua à Luzac, en Oléron. Ce jeu du chat et de la souris se poursuivit inlassablement. Traqué, tel une bête aux abois, il dut quitter précipitamment sa nouvelle retraite devenue dangereuse pour sa sécurité. Charles à ses trousses, Aigolant dût évacuer rapidement la presqu’île d’Arvert. Il se sauva à Saujon, d’où il gagna enfin son havre de Mauretagnie, aujourd’hui le petit port de Mortagne. Dans tous ces lieux se déroulèrent des affrontements sanglants.

A Châtelaillon, Charles accula Aigolant. Une confrontation armée les opposa dans l’eau. Le Franc, l’épée haute, fut près de défaire son ennemi qui ne trouva son salut que dans la fuite.

Après une courte accalmie derrière les murs de Mortagne, Aigolant et ses Sarrasins quitteront leur sommaire retraite. Ils s’enfuiront sur Bordeaux et parviendront à Arcachon.

Malgré cette guerre de harcèlement, Charles ne parviendra pas à libérer la région de la présence arabe. Toute une partie de la Saintonge et Haute-Saintonge resteront sous domination arabe. Talmont, Barzan et surtout Meschers se souviennent toujours de cette occupation militaire qui durait depuis 732.

Selon les récits légendaires, ce sont les Sarrasins qui creusèrent et aménagèrent les grottes de Meschers . Taillées dans les falaises calcaires de Mortagne à Suzac, telles des vigies, elles contrôlaient l’estuaire de la Gironde et assuraient en cas de défaite, une possibilité de retraite par voie maritime. Les silos des grottes de Meschers qui existent à Régulus, auraient été creusés par les Sarrasins. Ils servirent par la suite aux faux-sauniers ».

Partout sur son passage, au cours de cette poursuite infernale, Charles Le Grand édifiera des églises qui symboliseront son autorité et la domination sur les territoires reconquis. Thaims sera dédiée à Saint-Pierre et, à Suzac, Charles fonda une chapelle en l’honneur de Saint-Romain.

Le Siège de la Cité de Pons par Charlemagne

La cité de Pons, jadis Chartres, était sous occupation arabe depuis les débuts de la conquête musulmane. Alors que Charles s’occupait à ensevelir ses morts et à construire des églises, comme le raconte la pseudo chronique de Turpin, Aigolant, rejoignait ses sujets à Pons, afin de reconstituer ses forces et poursuivre sa guérilla dans la région. Rejoint par les Ducs du royaume franc, Charles prépare une nouvelle bataille qui cette fois se déroulera à Jonzac. Les trêves qui entrecoupent leurs querelles incessantes seront toujours de courtes durées et ne seront jamais mise à profit pour des pourparlers de paix. Bien au contraire elles ne seront que prétextes à de nouveaux préparatifs guerriers. C’est ainsi que près de Pons, une rencontre terrible opposera Chrétiens et Musulmans. Mais ici encore la tradition populaire s’égare et enjolive l’entreprise chevaleresque de Charlemagne en Saintonge.

Selon celle-ci, Charles assiégea la cité des Cordes, sur le trèfle, près de la Seugne, entre Pons et Jonzac. Le seul site rappelant l’origine arabe de Cordoue et le petit hameau de Cordie, près de Marignac, au sud-est de Pons.

La transmission orale populaire précise que le siège fut terrible et dura deux longs mois. Il semble qu’il y ait ici une grande confusion. Pour qu’un tel épisode dure aussi longtemps, il aurait fallu en cet endroit une forteresse puissante capable de résister aux assauts de l’armée franque, ce qui n’est pas le cas. Il est probable qu’avec le temps, la mémoire populaire ait transformé une simple embuscade en terrifiant fait militaire, dont l’enjeu stratégique était le contrôle des voies de communications vers Bordeaux.

Seule une ville portant le nom de Cordes aurait pu soutenir un tel siège. Il s’agit de Cordes, une ville du Tarn, surplombant la vallée du Cérou, petit affluent de l’Aveyron.

Le Cordes, dont parle la pseudo chronique du « Turpin Saintongeais », semble bien être Cordie et il est possible que nous soyons ici en présence d’un camp fortifié détenu par des Maures originaires de Cordoue en Espagne, qui laissa son nom de Cordie au site et qui passa ensuite pour le lieu d’une grande bataille.

N’oublions pas que nous sommes sur la route de Tours, et que Pons est un haut lieu du pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle. Ce n’est pas un hasard, si de nombreux épisodes de la Chanson de Roland, sont inscrits dans la pierre de nos édifices religieux jalonnant les chemins du pèlerinage compostellan, qu’ils soient secondaires ou l’un des quatre itinéraires majeurs.

Ce n’est pas non plus une coïncidence, de retrouver sur la façade de la cathédrale Saint-Pierre d’Angoulême, une nouvelle évocation de la Geste de Roland.



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